Matthias Müller s'est rendu à Détroit comme le roi des Romains est allé à Canossa, en chemise de bure et plein d'excuses dans la bouche. «Nous sommes conscients que nous avons profondément déçu nos clients, les organismes gouvernementaux et le grand public ici aux Etats-Unis», a déclaré dimanche le grand patron du groupe Volkswagen, à la veille de l'ouverture du salon de l'automobile. «Je suis sincèrement désolé. Je m'excuse pour ce qui a mal tourné chez Volkswagen», a-t-il dit, précisant : «Nous sommes entièrement déterminés à réparer les choses.»
Le «ce qui a mal tourné» est assez savoureux, l'implantation d'un logiciel destiné à truquer les tests d'émissions d'oxyde d'azote sur 11 millions de véhicules diesel à travers le monde n'étant probablement pas le fruit d'un hasard fâcheux. Quatre mois après le scandale, le constructeur allemand n'a pas précisé exactement comment ce logiciel a pu arriver dans le système d'exploitation des Volkswagen, Audi et Porsche. L'enquête interne parle d'un «enchaînement d'erreurs» commises par le «management intermédiaire». Sans plus.
Une quarantaine d'Etats aux Etats-Unis mènent également leur enquête. Et Volkswagen assure coopérer «étroitement avec les autorités américaines», autre élément de langage souvent répété. Mais qui n'est pas confirmé par lesdites «autorités américaines». «Notre patience a des limites», a tonné vendredi le ministre de la Justice de l'Etat de New York, Eric Schneiderman, qui accuse le deuxième constructeur mondial de se réfugier derrière la loi allemande sur la vie privée pour refuser de remettre à la justice des mails et autres communications de ses dirigeants. «C'est le genre de choses qu'on attend davantage d'une entreprise dans le déni que d'une entreprise qui cherche à se débarrasser d'une culture de la tromperie», a-t-il taclé. Même attaque de son homologue du Connecticut, George Jepsen : «En dépit des communiqués publics promettant une coopération et exprimant le souhait de mettre un terme aux différentes investigations qui le visent […], Volkswagen résiste en réalité à la coopération, en invoquant le droit allemand», a-t-il écrit dans un mail envoyé à l'AFP.
Marché clé
La semaine dernière, le ministère américain de la Justice a porté plainte au civil contre Volkswagen. L'amende théorique, selon un calcul de l'agence Bloomberg, pourrait atteindre les 46 milliards de dollars : 37 500 dollars par véhicule et, pour chacun des deux actes d'accusation (falsification et non-certification de l'EPA), 3 750 dollars pour chaque copie de logiciel installé. Evidemment, Volkswagen ne paiera pas ce montant, et des négociations entre le groupe et le ministère définiront l'enveloppe finale. Mais à cette grosse prune devront s'ajouter les amendes au pénal et celles des actions de groupe menées au nom des utilisateurs lésés. Sans parler des actions qui seront menées dans d'autres pays.
A propos de ces clients américains, Matthias Müller doit rencontrer mercredi la chef de l'agence environnementale américaine de l'Environnement (EPA), Gina McCarthy. Et lui présenter les solutions que prévoit le groupe allemand pour remettre aux normes les près de 600 000 voitures truquées présentes sur le sol américain. Le PDG a assuré que les «concepts et solutions» de remise aux normes allaient être «présentés dès qu'ils seront approuvés par les autorités». Il a confirmé à l'AFP que le groupe envisageait de racheter plus de 100 000 des véhicules visés à leurs propriétaires. «Cela fait partie des solutions dont nous voulons discuter avec Madame McCarthy», a-t-il dit. Un peu plus tôt, une source anonyme proche du dossier avait affirmé à l'AFP que Volkswagen envisageait aussi de proposer un véhicule neuf en échange de leur voiture aux propriétaires concernés. Une solution technique aurait également été trouvée pour les autres voitures, avance cette source.
Müller, finaud, a annoncé au cours de la même réception à Détroit un investissement de 900 millions de dollars sur la production d'un SUV de moyenne de gamme, qui permettrait de créer 2 000 emplois aux Etats-Unis. Une déclaration destinée à séduire son audience, mais pas seulement. Le constructeur a réaffirmé lundi que les Etats-Unis étaient un marché «clé». C'est surtout un marché florissant : quelque 17,47 millions de voitures y ont été vendues en 2015, un record absolu. Et la chute du prix du baril de pétrole constitue une bénédiction pour les constructeurs présents sur le sol américain, car elle décide actuellement quelque 60 % des acheteurs à justement opter pour des pick-up et autres 4x4, aux marges plus élevées que les voitures classiques.