A chaque jour son (mauvais) rebondissement. Au Venezuela, le bras de fer institutionnel entre l'opposition et le gouvernement chaviste ne cesse de se durcir. Lundi, la Cour suprême (TSJ) a prévenu qu'elle invaliderait tous les actes du Parlement, dominé depuis le 5 janvier par la coalition des partis de l'opposition antichaviste (la Table de l'unité démocratique, MUD). La moindre décision de l'organe législatif monocaméral sera considérée comme «nulle».
Pour justifier son annonce, la plus haute instance judiciaire du pays a invoqué le non-respect de l’une de ses décisions : la suspension de trois députés antichavistes, qu’elle avait décidée le 31 décembre. Les trois élus ont été investis malgré l’interdiction. La Cour suprême bloquera donc tout processus législatif tant qu’ils seront maintenus à l’Assemblée.
La guerre des pouvoirs risque de déstabiliser le pays, déjà très fragilisé par la crise économique. A la suite de cette annonce, le parlement a suspendu tous ses travaux jusqu’à mercredi.
L’opposition s’agrippe à sa majorité des deux tiers
Si la Table de l’unité démocratique a fait la sourde oreille aux suspensions des députés, ce n’est pas par pure provocation. L’enjeu est de taille : l’investiture des trois élus en question permet à l’opposition d’obtenir la majorité des deux tiers, en passant de 109 à 112 députés sur 167.
Et la différence de prérogatives entre une majorité à trois cinquièmes et une à deux tiers est précieuse. Grâce à la première, le parlement vénézuelien peut s'opposer aux décrets présidentiels ou voter une motion de censure contre des ministres ou contre le vice-président. Mais avec la seconde, l'organe législatif est bien plus puissant. Il a la possibilité de convoquer un référendum, de mettre en place une Assemblée constituante (et donc de rédiger une nouvelle constitution), et de décider d'une réduction du mandat du président. Ce qui tombe très bien puisque l'opposition se donne «six mois» pour destituer le président Nicolas Maduro.
Une autre polémique envenime les relations entre les acteurs ennemis du Venezuela. Lundi, la MUD a déposé un projet de loi, baptisé «Loi d'amnistie et de réconciliation», pour amnistier 76 prisonniers politiques et près de 4 700 «persécutés politiques» poursuivis par la justice ou exilés à cause de leur opposition au chavisme.
Le gouvernement a promis de s'opposer à l'adoption de cette loi, mais selon Jesus Torrealba, secrétaire général de la MUD, les députés chavistes ne pourront que «faire les objections permises par le règlement». Le juriste José Ignacio Hernandez confirme que le pouvoir du président est très restreint : au mieux, Nicolas Maduro pourra faire des observations avant de la promulguer. A moins de «violer la Constitution».
La cour suprême en question
L’Assemblée nationale ne s’est pas arrêtée là. Elle a aussi mis en place une commission d’enquête concernant 34 juges de la Cour suprême nommés fin décembre par la majorité chaviste sortante : leur impartialité est explicitement remise en cause par les nouveaux députés. Le TSJ joue un rôle central dans l’arbitrage des contentieux entre pouvoirs exécutif et législatif.
Pour l'analyste de l'International Crisis Group Phil Gunson, le gouvernement a «fait le choix de la confrontation» plutôt que de «chercher à travailler avec la nouvelle majorité à l'Assemblée pour résoudre les graves problèmes économiques et sociaux qui affectent le pays».