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Libération
Récit

Israël, la terre compromise

Les attentats et les agressions poussent les juifs de France à gagner l’Etat hébreu. Mais les difficultés d’adaptation les conduisent souvent à revenir dans l’Hexagone.
publié le 13 janvier 2016 à 19h41

Les médias israéliens s'enflamment après l'attaque dont a été victime l'enseignant marseillais et l'annonce de la mort mardi - présentée d'emblée comme un «acte antisémite» - du conseiller municipal de Créteil (Val-de-Marne) Alain Ghozland. Depuis mardi, les émissions et les débats radiotélévisés s'ajoutent donc aux nombreux dossiers publiés par la presse écrite.

Si les commentateurs israéliens louent les efforts de protection des institutions communautaires déployés par le gouvernement de Manuel Valls, ils estiment à peu près tous que la «situation est devenue intenable pour les juifs de France» et posent donc la question subsidiaire : «pourquoi ne sont-ils pas plus nombreux à réaliser leur alyah [«montée», ndlr] vers Israël ?»

Pourtant, les chiffres sont plutôt encourageants pour l'Etat hébreu. Selon le ministère de l'Intégration, 7 900 juifs français se sont installés en Israël en 2015. Sept cents olim de plus qu'en 2014, une année qui passait déjà pour exceptionnelle. «Et ce n'est pas fini», jubile le ministre Zeev Elkin, un faucon du Likoud, le parti de droite au pouvoir, qui prédit «un afflux encore plus important en 2016».

«Rudiments». Parmi ces nouveaux venus, Robert et Chantal Amsalem, deux quadragénaires, se sont installés à Raanana, dans la grande banlieue de Tel-Aviv, avec leurs trois enfants. «Ce qu'il y a de difficile dans l'alyah, c'est la barrière de la langue, les codes que vous ne comprenez pas, le mode de vie différent et nettement plus dur qu'avant, affirme le mari, ancien contrôleur de qualité dans l'agroalimentaire. Bien sûr, les gens nous aident, mais il nous arrive souvent de nous sentir perdus. Les soirs de déprime, mon épouse et moi discutons des attentats de Paris, de l'Hyper Cacher et du Bataclan. Nous avions déjà décidé de partir avant ces événements, mais associés à l'agression de Marseille et aux nombreuses autres attaques antisémites passées sous silence, ils nous confortent dans l'idée que les juifs français devront émigrer en masse pour sauver leur peau. Ce n'est pas un hasard si l'on envisage aujourd'hui de ne plus porter la kippa dans la rue.»

Mercredi midi, rue Lilienblum, en plein centre de Tel-Aviv. Quelques dizaines d'élèves de toutes nationalités et de tous âges quittent l'oulpan, le cours où ils sont censés apprendre les rudiments de l'hébreu en six mois. Parmi eux, Michèle, une trentenaire originaire de Senlis (Oise) qui explique être «montée» en Israël «pour changer de vie et pour trouver un mec un peu moins ramollo que ceux [qu'elle] fréquentait en France». L'antisémitisme ? Les menaces ? «Ça joue aussi mais dans une moindre mesure puisque les juifs sont, de toute façon, toujours en danger partout, y compris en Israël où l'on compte de deux à trois attaques palestiniennes par jour.» Et d'ajouter : «Si j'avais vraiment recherché la sécurité, je me serais installée au Québec ou en Floride, comme le font des centaines d'autres "feujs" français.»

«Obtus». Grosso modo, de 20 % à 30 % des olim reviennent dans l'Hexagone au bout d'un an ou deux. Parce qu'ils ne se sont pas adaptés à la rudesse locale, parce qu'ils n'ont pas réussi à gagner leur vie ou parce qu'ils ont été dégoûtés par cette bureaucratie étouffante qui semble avoir été créée pour leur faire regretter de s'être installés en terre promise.

C'est le cas de Jacques-Henry Matarasso (56 ans), un commerçant veuf venu chercher l'eldorado à Netanya, la plus francophone des stations balnéaires israéliennes, et qui a brûlé toutes ses économies en cinq années. «Je ne supporte plus les fonctionnaires obtus et les Israéliens de souche qui vous prennent pour un pigeon chaque fois qu'ils vous présentent une facture, lâche-t-il. Lorsque le bail locatif de mon magasin prendra fin en avril, j'en profiterai pour faire mes valises sans regret et pour retrouver la Porte des Lilas, à Paris.»

Jusqu'à ces derniers mois, les olim d'origine française n'étaient pas très audibles dans l'Etat hébreu. Mais la situation évolue depuis qu'ils commencent à représenter une petite force électorale. Dans les couloirs de la Knesset (le Parlement israélien), un «lobby», présidé par la députée du Likoud Nourit Koren, et une nouvelle association, baptisée «Qualita», tentent d'abattre les obstacles qui se dressent sur le chemin des nouveaux émigrants.

«C'est louable, mais c'est trop tard pour moi. Je rentre en France, lâche Simon, un médecin des Hôpitaux de Paris qui a pris une pause carrière après un divorce compliqué. Je n'ai pas trouvé ma place en Israël et je me sentirai mieux là où je suis né. Je sais que je devrai me battre pour défendre ma dignité de Français juif. Au moins, ça me fera un objectif.»