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Libération
Décryptage

La Pologne conservatrice sur la sellette à Bruxelles

Les premières mesures du gouvernement ultraconservateur font l'objet d'un débat critique à Bruxelles, une première dans le fonctionnement de l'UE.
Beata Szydlo, Première ministre polonaise, à Varsovie mercredi avant d'être entendue à Bruxelles jeudi. (Photo Kacper Pempel. Reuters)
publié le 13 janvier 2016 à 17h25

Ce n'est pas encore un procès, mais déjà ça y ressemble. Le gouvernement polonais devait s'expliquer ce mercredi devant la Commission européenne sur ses lois controversées sur les médias et le tribunal constitutionnel. Il n'est question pour l'instant que d'un simple «débat d'orientation». Même si aucune sanction n'est pour l'heure au programme, il s'agit pour Varsovie du début des problèmes, puisque le président Andrzej Duda, élu en mai, et la chef du gouvernement PiS (Droit et Justice, le parti fondé et dirigé par Jaroslaw Kaczynski, dont on soupçonne qu'il est le vrai chef de la nouvelle Pologne), Beata Szydlo, issu des législatives d'octobre, seront à leur tour à Bruxelles, respectivement les 18 et 19 janvier. Cette dernière défendra sa politique devant le Parlement européen. D'ores et déjà la menace d'un divorce entre l'Est européen, la Pologne étant soutenue par la Hongrie de Viktor Orbán et en moindre mesure par les deux autres membres du groupe de Visegrád (Slovaquie et République tchèque), et l'Ouest, terre des vieilles démocraties, est présente dans toutes les têtes.

Que reproche-t-on exactement à la Pologne ?

En agissant très rapidement, en limogeant les chefs de toutes les agences de sécurité, puis en nommant hors procédure ses hommes au sein du Tribunal constitutionnel, dont a été modifiée la règle d’élection à majorité qualifiée, puis en prenant le contrôle des médias audiovisuels publics, désormais sous le contrôle du ministre du Trésor, les conservateurs du PiS ont montré qu’ils voulaient exercer un pouvoir absolu. Ces dispositions sont condamnées par l’opposition qui organise régulièrement des manifestations depuis plus d’un mois à Varsovie et d’autres villes du pays. En Europe, on estime que c’est le respect de l’Etat de droit, à savoir la base même de la démocratie, qui est en question.

Que peut faire l’Union européenne ?

Elle brandit la menace d’une procédure pour atteinte à l’Etat de droit, un nouveau mécanisme mis en place en mars 2014 et qui n’a encore jamais été utilisé. Le débat de mercredi ouvre une phase d’évaluation dans ce cadre. Il sera suivi d’un avis. A l’étape suivante, la Commission pourrait faire une recommandation. Si rien n’y fait, elle pourrait priver la Pologne de son droit de vote au sein des réunions de l’UE. Mais une telle hypothèse n’est pas crédible, le président hongrois Viktor Orbán, qui agit lui aussi comme un autocrate en son pays (il a réformé au profit de son parti la Constitution et étouffé la liberté de la presse), ayant déjà fait comprendre la semaine dernière que la Hongrie mettra son veto «à toute sanction» contre la Pologne.

Pourquoi l’Europe a-t-elle réagi si vite ?

Sans doute parce qu’elle a tardé à le faire avec la Hongrie et qu’elle s’aperçoit que l’Europe orientale est de plus en plus gagnée par le virus nationaliste. En 2012, l’UE avait ouvert trois procédures d’infraction contre Budapest, mais le tout s’était achevé par une vague condamnation du Parlement européen, dans les séances duquel on avait vu le groupe PPE (Parti populaire européen, conservateur), auquel appartient le Fidesz d’Orbán, défendre certains aspects de la nouvelle Constitution hongroise. En 2000, l’UE avait sanctionné diplomatiquement l’Autriche en raison de l’entrée du Parti autrichien de la liberté de Jörg Haider au sein du gouvernement. Mais les sanctions avaient été levées sept mois plus tard. Et l’entrée de partis d’extrême droite dans des gouvernements, ou leur soutien à des coalitions de droite, comme au Danemark ou aux Pays-Bas, a cessé d’être un tabou en Europe occidentale. Mais aucun de ces pays n’a jamais essayé de supprimer la liberté de la presse ou d’attenter à l’indépendance de la justice.

L’Europe centrale est-elle en train de faire bande à part ?

Le groupe de Visegrád, dont l’intégration à l’UE en 2004 a peut-être été plus rapide qu’il ne l’aurait fallu, selon de nombreux observateurs, fait plus que jamais figure de bloc eurosceptique au sein de l’UE. Cet été, il avait été le premier à faire entendre un ton dissonant sur la question de la répartition entre membres de l’UE des migrants fuyant la Syrie. Mais le gouvernement polonais, à l’époque dirigé par les libéraux, qui avait de prime abord refusé d’accepter un quota, avait fini par se rallier à la proposition européenne, empêchant l’expression d’une position commune des quatre pays.

Depuis l'élection du PiS, dont le chef avait souligné que les migrants faisaient planer un risque de maladies sur la population polonaise, ils se sont tous lâchés. Cette hostilité aux nouveaux venus ne recoupe pas le spectre droite-gauche, au demeurant peu pertinent dans ces pays. A titre d'exemple, le Premier ministre social-démocrate Robert Fico a menacé de «surveiller chaque musulman» et le président tchèque Milos Zeman, lui aussi social-démocrate, a qualifié d'«invasion organisée» l'actuelle vague migratoire. Nations ethniques plutôt que nations politiques, les pays d'Europe centrale souffrent d'un déficit d'attention envers les minorités. En juin dernier, le Conseil de l'Europe a encore épinglé la Hongrie pour son «discours de haine» envers les Roms, les juifs, les LGBT et les réfugiés, et la Pologne pour son attitude envers les homosexuels et les musulmans.