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Libération
interview

Au Burundi, «si nous ne faisons rien, les tueries aveugles vont continuer»

L'ambassadrice honoraire de l'Unesco Beate Klarsfeld est actuellement à Bujumbura, la capitale, pour rendre compte de la gravité des massacres perpétrés dans ce petit pays, à peine guéri du génocide rwandais des années 90.
A Bujumbura, la capitale du Burundi, les exactions sont de plus en plus récurrentes et font craindre une guerre civile. (Photo Jean Pierre Harerimana. Reuters)
publié le 14 janvier 2016 à 7h08

A 76 ans, Beate Klarsfeld continue de se révolter. De nombreux combats ont ponctué sa vie, notamment ceux contre les anciens nazis, et aujourd’hui, cette Allemande d’origine s’inquiète des massacres au Burundi. Elle s’est rendue sur place, en tant qu’ambassadrice honoraire de l’Unesco pour l’enseignement de l’holocauste et la prévention de génocide, pour alerter la communauté internationale sur l’urgence de la situation et convaincre le gouvernement du pays du bien-fondé d’une médiation onusienne.

Depuis que vous êtes arrivée, quelles sont vos observations ?

Ce pays a besoin d’un soutien financier. Près de 60% de la population sont des jeunes, ils sont désœuvrés, ils n’ont pas de perspective d’avenir et s’opposent donc à des politiques qu’ils estiment inefficaces. Ici, la pauvreté est terrible, les femmes sont assises par terre pour vendre des fruits, les jeunes errent dans la rue. La pauvreté accentue la crise politique. Si nous ne faisons rien, les tueries aveugles vont continuer et la rébellion s’endurcir. Ici, on s’entretue de plus en plus, c’est dramatique.

Pensez-vous qu’il peut y avoir un nouveau génocide ?

Génocide non, car ce n’est pas du tout la même situation qu’au Rwanda, où le conflit était alimenté par un clivage ethnique entre les Hutus et les Tutsis. Au Burundi, le conflit est politique, envenimé par le troisième mandat du président Pierre Nkurunziza que certains jugent contraires à la constitution. Entre le Rwanda et le Burundi, les cas ne sont absolument pas comparables. Par contre, les conséquences peuvent être sensiblement les mêmes. Les gens se tuent avec une grande brutalité, des cadavres s’empilent dans les rues, la population a peur. Le risque est une grave guerre civile entre les partisans du pouvoir en place et ceux de l’opposition. C’est très inquiétant.

Quelle est votre mission là-bas ?

Ma mission n’est pas celle d’une politicienne mais celle d’une humanitaire. Je suis l’ambassadrice honoraire de l’Unesco pour l’enseignement de l’holocauste et la prévention du génocide. Mon rôle est de parvenir à trouver une solution très rapidement, et surtout, de sonner un cri d’alarme, d’observer et de rendre compte de ce qui se passe sur place. J’ai déjà rencontré des membres des ministères, des ambassades, et j’essaie de montrer au gouvernement burundais que mon seul souhait est d’apaiser les tensions. Il n’y a pas d’ingérence politique.

Que préconisez-vous ?

Ce pays a besoin de l’aide extérieure, la résolution du conflit est impossible sans elle. Mais l’aide extérieure peut se faire avec diplomatie, grâce à un soutien financier pour combattre la pauvreté et grâce à une médiation entre l’opposition et le gouvernement. L’ONU a coupé tout budget pour le Burundi, le pays s’enlise dans une impasse économique. Aussi, les pourparlers peuvent s’avérer efficaces, ils peuvent déclencher une prise de conscience.

Avez-vous bon espoir que la situation s’apaise grâce à votre médiation ?

Je n’en sais rien, je ne suis pas sûre que le résultat soit positif mais ça ne fait rien, parce qu’il faut le faire. J’estime que ce coup de main est nécessaire. On ne peut pas rester impuissants et indifférents à ce qui se passe ici. Ce que j’espère, c’est que ce cri d’alarme et ma venue ici puissent être entendus par les officiels du gouvernement. Le fait que les regards soient tournés sur le Burundi, que la communauté internationale s’y intéresse peut faire changer la donne. Ils sentiront que le monde entier se sent concerné par leur situation.