«Dégage !» Le slogan de la révolution tunisienne qui renversa le 14 janvier 2011 le régime Ben Ali fut repris - y compris parfois en français - sur la place Tahrir du Caire deux semaines plus tard. Mobilisée par les réseaux sociaux, une jeunesse éduquée mais sans avenir occupait la rue au nom de la «dignité», chassant du pouvoir deux Ceausescu des sables longtemps soutenus par l'Occident. Pour les plus optimistes, cette irruption de la démocratie marquait la fin de l'islamisme. On parlait de «printemps arabe», en référence au printemps des peuples qui, en 1848, souffla sur toute l'Europe et qui s'acheva deux ans plus tard… par un triomphe général de la réaction. La marche de l'histoire n'est jamais linéaire. A l'exception de la Tunisie, qui poursuit en tâtonnant sa route vers la démocratie, des régimes autoritaires ont, comme en Egypte, triomphé des espoirs des révolutionnaires. Le renversement de Kadhafi par l'intervention aérienne de l'Otan soutenant la révolution libyenne a fait éclater le pays. La passivité des Occidentaux et leur refus d'aider réellement la révolution démocratique syrienne face au «boucher de Damas» ont alimenté une guerre civile encore plus implacable. C'est tout le Moyen-Orient qui est aujourd'hui gagné par un chaos en passe de balayer nombre d'Etats de la région et leurs frontières tracées à la fin de la Première Guerre mondiale par les Français et les Britanniques. Dans le débat public, certains regrettent ces hommes forts en qui ils voient des remparts contre l'islamisme radical, alors même que dans le passé comme aujourd'hui, les répressions sanguinaires des dictatures iniques ne font que l'alimenter. Les sociétés arabes se sont mises en mouvement, le processus sera long, mais il est irréversible. Tout aussi inéluctable est la tentation de revanche des chiites comme des Kurdes, qui furent les grands perdants lors du dépeçage de l'Empire ottoman en 1918. Le grand historien arabe Ibn Khaldoun notait, au XIVe siècle, à propos de la mort et des renaissances des empires : «Seuls les peuples venant des bas-fonds de l'histoire peuvent aller loin dans l'histoire.»
Printemps enfuis
par Marc Semo
publié le 15 janvier 2016 à 18h11
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