Prêt depuis quatre mois, le premier magasin Ikea du Maroc, et le deuxième d'Afrique après celui du Caire inauguré en 2013, devrait ouvrir ses portes prochainement. Fixée au 29 septembre 2015, l'inauguration de l'enseigne suédoise, dans un centre commercial situé à Zenata, près de Casablanca, avait été reportée in extremis: la veille, les autorités marocaines avaient constaté l'absence dans le dossier d'un mystérieux «certificat de conformité». Pour la grande majorité des observateurs, le royaume chérifien faisait payer au royaume scandinave son intention de reconnaître l'indépendance du Sahara Occidental, une région que le Maroc revendique comme faisant partie de son territoire.
Vendredi, la ministre suédoise des Relations extérieures, Margot Wallström, annonçait dans un communiqué que son pays renonçait à rejoindre les 80 pays (aucun dans l'Union européenne) qui reconnaissent l'indépendance du Sahara. C'était pourtant un engagement du Parti social-démocrate, auquel elle appartient, parvenu au pouvoir en octobre 2014 dans le cadre d'une coalition de gauche avec le parti Vert. A la place, le gouvernement du Premier ministre Stefan Löfven devrait soutenir les efforts de l'ONU pour trouver «une solution juste et mutuellement acceptable» entre Rabat et le Front Polisario, le mouvement qui lutte pour l'indépendance du Sahara occidental.
Décolonisation bâclée
Aux yeux des Nations Unies, le Sahara occidental est un des derniers «territoires non autonomes» de la planète: une région dont le processus de décolonisation n'a pas été mené à terme. Les Malouines, Gibraltar, la Nouvelle-Calédonie ou la Polynésie française sont dans le même cas. Le différend remonte à septembre 1975: alors que le dictateur Franco agonise, l'Espagne démembre en toute hâte sa colonie du Rio de Oro entre ses voisins, le Maroc et la Mauritanie. Sans en informer l'ONU, qui ne reconnaîtra jamais ces «accords de Madrid», ni consulter les populations de la région, des berbères nomades musulmans qui ne parlent pas l'arabe dialectal du Maroc mais l'hassanya, la langue des Mauritaniens, dont ils sont culturellement proches.
Un conflit armé opposera les Sahraouis partisans de l'indépendance et l'armée marocaine jusqu'en 1991. Depuis, le Maroc occupe 80% de l'ancien territoire, et exploite ses ressources: pêche sur la façade atlantique, mines de phosphates. De prometteurs gisements de gaz naturel auraient en outre été localisés. Le Front Polisario est replié sur les 20% restants, totalement désertiques. Les deux parties sont séparées par un mur de près de 3000km érigé par les Marocains. Et une forte population de réfugiés sahraouis (entre 150 000 et 200 000) survit dans des camps en territoire algérien, où Libération s'est rendu en 2015.
En 1988, les deux parties, sous l’égide de l’ONU, avaient finalisé un accord pour organiser un référendum d’autodétermination. Qui n’a jamais vu le jour et n’aurait plus grand sens aujourd’hui, le régime de Rabat ayant mené une politique active de colonisation qui a fait basculer l’équilibre démographique en sa faveur. Les derniers rapports de l’ONU soulignent en outre qu’un Etat sahraoui indépendant serait difficilement viable.
Prix plus élevés qu'en France
Plus qu'aux Suédois, les représailles de Rabat, déguisées en décision administrative, ont nui financièrement au conglomérat koweïtien Al-Homaizi, qui exploite déjà les franchises Ikea dans le Golfe persique. Le groupe n'a pas annoncé la date d'ouverture du magasin de Zenata, pour lequel 300 employés ont été recrutés localement. Le principal concurrent du géant suédois sur le segment des meubles en kit s'appelle Kitea, mais la différence ne devrait pas se faire sur les prix. Sitôt le catalogue mis en ligne sur le site d'Ikea Maroc, début septembre, des internautes avaient comparé les tarifs pratiqués avec ceux en vigueur en France, en Espagne ou en Egypte. Constat: le Maroc sera plus cher, entre 10 et 100% suivant le modèle. La marque a répondu que «chaque pays a différents droits de douane ou réglementations fiscales qui affectent le prix final des produits Ikea». Autre déception: les boulettes de renne à la confiture de groseille ne seront pas proposées à la cafétéria.