Jusqu'où ira Ramzan Kadyrov, le fidèle allié de Vladimir Poutine ? Toute la Russie s'interroge depuis que l'homme fort de Tchétchénie a publiquement proposé de traîner devant les tribunaux pour «sabotage» les «ennemis du peuple», à savoir les opposants, qui chercheraient à tirer profit des difficultés actuelles du pays.
Mardi, Ramzan Kadyrov a récidivé en promettant «des piqûres», donc pratiquement l'internement psychiatrique, aux directeurs des médias indépendants qui «diffusent avec plaisir des informations fausses et hypocrites alimentées par leur haine viscérale de la Russie». «Vous êtes la honte de la Russie», se sont écriés les critiques, ouvrant une polémique avec celui qu'ils considèrent comme «le pitbull de Poutine». Les affidés de Kadyrov ont aussi donné de la voix. Magomed Daoudov le président du Parlement, a accusé les médias comme la radio Echo de Moscou et la télé Dojd d'être «le quartier général de la cinquième colonne».
Para-Etat. Kadyrov, 39 ans, cheveux blond-roux en bataille, barbe rousse et survêtement de sport, est un habitué des déclarations incendiaires. On aurait tort de les croire bénignes. Placé à la tête de la Tchétchénie en 2007, où il a succédé à son père, l'imam Akhmad Kadyrov, tué dans un attentat, le jeune Ramzan a créé un para-Etat fondé sur un islamisme patriarcal et traditionnel - «Chez nous, la femme est à la maison […], a-t-il expliqué à Komsomolskaïa Pravda en 2008. La femme doit être un bien. Et l'homme le propriétaire» - et la soumission à l'autorité du chef : Kadyrov à Grozny et Poutine à Moscou. Le régime tchétchène prorusse pratique la mise au pilori comme nul autre, avec séances d'humiliation sur les réseaux sociaux ou à la télé tandis que les familles de Tchétchènes exilés participant à des manifestations à l'étranger sont menacées de représailles.
Ceux qui ont eu le malheur de défier Kadyrov ont disparu. Comme la journaliste Anna Politkovskaïa, dont le meurtre, en 2006, imputé à une piste d'exécutants tchétchènes, n'a jamais été élucidé. Et comme la militante des droits de l'homme Natalia Estemirova, une des rares femmes à l'avoir provoqué en tête à tête sur le voile, notamment, enlevée et tuée à Grozny en 2009. Ou encore l'opposant Boris Nemtsov, assassiné à proximité des murs du Kremlin à Moscou en février 2015. Tandis que Poutine, embarrassé face aux Occidentaux, se voyait obligé de promettre une enquête approfondie, Kadyrov faisait l'éloge du principal suspect, le Tchétchène Zaour Dadaïev, ancien membre de ses milices qu'il qualifiait de «véritable patriote russe». Alors qu'une partie de l'opinion russe, y compris dans les cercles du pouvoir, condamnait ses propos, Poutine l'avait défendu.
Néostalinien. Ce serait donc une erreur de ne pas prendre les menaces de Kadyrov au sérieux. L'essentiel n'est pas de savoir s'il est un franc-tireur ou s'il est «le pitbull de Poutine», mais de se demander si ses rodomontades ne sont pas un ballon d'essai alors que la situation économique dramatique risque d'éroder le soutien de l'opinion publique au régime de Poutine, à quelques mois des législatives de septembre. La chute du rouble, la baisse des prix du pétrole, la perspective d'une nouvelle année de récession pourraient créer un mécontentement social.
Des premiers mouvements apparaissent. On a vu à la fin de l’année 2015 des camionneurs marcher sur Moscou, et, début janvier, les babouchkas de Krasnodar et de Sotchi - pas exactement la sociologie habituelle de l’opposition composée de jeunes cadres urbains - remporter une victoire en forçant les autorités à rétablir les tarifs réduits pour retraités dans les transports.
Si la situation venait à se tendre, un Kadyrov menaçant ne serait peut-être pas superflu. Là est sans doute la raison du silence de Poutine face aux dérapages néostaliniens de son protégé.