Comme l’indignation et les témoignages par dizaines, une question délicate fait son chemin dans plusieurs pays depuis les agressions de Cologne : faut-il sensibiliser les demandeurs d’asile aux mœurs de l’Etat dans lequel ils arrivent ? Si oui, comment ? Resurgie début janvier, cette idée avait vu le jour en Norvège dès la fin des années 2000, après une série d’agressions sexuelles et de viols impliquant des étrangers à Stavanger, dans le sud-ouest du pays. En réponse, le département de l’Immigration avait lancé en 2012, à titre expérimental, un vaste programme d’information et de prévention sur les rapports femmes-hommes dans les centres d’hébergement de demandeurs d’asile, destiné à durer deux ans. La méthode, conçue par l’ONG Alternative to Violence avec des psychologues, repose sur des groupes de discussions pour hommes volontaires, en présence d’interprètes financés par le gouvernement. Au programme : les rapports hommes-femmes, les mœurs du pays et les violences, notamment sexuelles.
Minijupe. Depuis, le gouvernement norvégien ne supervise plus le projet, mais les centres qui le souhaitent peuvent continuer d'animer ces groupes. Hero, société privée qui gère 40 % des lieux d'accueil pour demandeurs d'asile, organise toujours de telles sessions dans 150 centres. «Il ne s'agit pas d'éduquer les participants, mais de discuter de la conduite à adopter entre gens de sexes différents, avertit Tor Brekke, PDG de la boîte. On ne leur dit pas "faites ceci ou cela", mais plutôt "voici les règles et les lois en vigueur en Norvège". On fait appel à leur sens de la responsabilité», insiste-t-il. Des photos et des vidéos servent à amorcer la discussion : que penser de cette femme assise, souriante, en minijupe ? Et de ces deux jeunes gens qui se rencontrent au cours d'une soirée alcoolisée, s'embrassent, avant que la jeune fille ne soit violée ? A-t-elle sa part de responsabilité ? «Dans certains pays, les femmes sont très couvertes et les gens ne s'embrassent pas en public», observe Tor Brekke, pour qui «ce genre de mises en situation permet d'aborder les différences culturelles». Qui ne sont pas qu'une affaire d'hommes. Environ 15 % des participants à ces cours sont désormais des participantes.
Trois jours après la révélation des événements de Cologne, le secrétaire d'Etat belge à l'Asile et à la Migration, Theo Francken, membre du parti nationaliste flamand N-VA, se ruait sur le modèle norvégien, clamant vouloir le «copier et introduire ces cours dans les prochaines semaines dans tous les centres d'accueil». Cette proposition a suscité l'ire de la ministre des Droits des femmes et de l'Egalité des chances, la socialiste Isabelle Simonis : «C'est un timing inapproprié qui camoufle un racisme à peine déguisé», s'est-elle indignée. D'autant que ces sujets sont déjà abordés (parmi d'autres) dans certains centres, lors de formations sur le «vivre-ensemble» dispensées par l'Agence fédérale pour l'accueil des demandeurs d'asile (Fedasil).
Dès lors, de telles annonces ne seraient-elles que politiques ? «Renforcer l'information sur le respect et les violences sexuelles est nécessaire partout, pas seulement à destination des demandeurs d'asile, mais aussi dans les écoles par exemple», insiste Philippe Hensmans, directeur de la section francophone belge d'Amnesty international, qui craint un «opportunisme politique. Ce genre d'annonces pourrait dégrader le climat envers les réfugiés, avertit-il. D'ailleurs, en 2014, des travaux d'Amnesty démontraient qu'un quart des femmes belges victimes de viol avaient été agressées par leur partenaire.»
Modules obligatoires. Le modèle norvégien a aussi crapahuté jusqu'aux montagnes suisses : après le dépôt de plusieurs plaintes pour des vols et des agressions sexuelles à Zurich dans la nuit du 31 décembre, la conseillère nationale Silvia Schenker (Parti socialiste) a suggéré mi-janvier de généraliser dans tout le pays cette sensibilisation des demandeurs d'asile à l'égalité femmes-hommes. Dans le canton de Genève, on aborde cette thématique depuis cinq ans déjà, dans le cadre de six heures de modules obligatoires d'information et de sensibilisation sociale. «Je ne voudrais pas qu'on croie que les migrants sont des sauvages que nous aurions besoin d'éduquer», clarifie d'emblée Françoise Michel, responsable de la formation à l'Hospice général, qui gère l'accueil des réfugiés dans le canton. Les relations entre les sexes sont abordées aux côtés de thématiques comme le logement, les institutions, le système de santé, les us et coutumes… «Evidemment, il nous arrive d'appuyer un peu plus sur la place de la femme selon le public à qui on s'adresse, explique-t-elle. Mais il s'agit aussi de leur dire à elles qu'elles peuvent porter plainte sans avoir l'aval de qui que ce soit.» Faut-il pour autant instituer des cours spécifiques sur le genre ? «Ce serait envoyer un message stigmatisant, estime Françoise Michel. Des mains aux fesses, on en prend aussi par des Parisiens.»