Pierre Vermeren enseigne l’histoire du Maghreb contemporain à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne. Il analyse les pires émeutes depuis cinq ans en Tunisie.
N’a-t-on pas un sentiment de déjà-vu dans cette «géographie» des émeutes ?
Absolument. Les embrasements se sont déroulés dans ces zones déshéritées de l’intérieur du pays, à fort chômage, dans lesquelles les jeunes diplômés n’ont ni avenir ni perspective d’émigration. Malgré la révolution, il n’y a pas eu de rattrapage. Cette jeunesse des déshérités, des candidats à l’émigration ou au jihad, des diplômés chômeurs, n’est pas représentée par les partis. Que cela débouche sur des émeutes n’est pas surprenant. Je note en outre que ces révoltes ne touchent pas le grand sud, où le parti Ennahdha est fort.
Fait-il profil bas ?
Le parti islamiste s’est mis en réserve de la République il y a un an et demi. On leur avait jeté à la figure : «Vous ne savez pas gérer, vous avez mis l’économie par terre.» Mais l’économie est toujours au même stade. Les islamistes se sont mis au point mort pour capitaliser en attendant un retour en grâce, et c’est un risque important pour le pouvoir. Cela dit, ils joueront la carte de la légalité. Ce mouvement social est d’ailleurs un bon moyen pour faire progresser l’argument : «Vous voyez bien que les gens au pouvoir sont aussi incompétents. Si on nous avait laissé demander de l’argent au Qatar ou à l’Arabie Saoudite, on n’en serait pas là.» C’est là que se situe le chantage.
François Hollande a promis un milliard d’euros…
Le gouvernement tunisien pense obtenir de l’argent des Européens… qui ne vient toujours pas. Hollande a certes débloqué un milliard sur cinq ans. Mais il faudrait que l’Europe en débloque 10 ou 20 ! Or elle lâche des sommes dérisoires. Et si les islamistes reviennent au pouvoir, ils auront beau jeu de ressortir les promesses saoudiennes ou qataries. Et ç’en sera fini de la démocratisation sur un modèle constitutionnel et pluraliste similaire au nôtre.