Le 30 décembre s'étaient tenus dans le même temps en Centrafrique deux scrutins : le premier tour de la présidentielle et les législatives. Si les résultats du premier scrutin n'ont pas été invalidés, ceux des législatives ont été annulés dimanche à Bangui par la Cour constitutionnelle de transition. La Cour évoque «les nombreuses irrégularités observées dans le déroulement du scrutin». La présidentielle, dont le second tour est fixé au 7 février, n'a pas été «touchée» par «les irrégularités» et verra ainsi s'affronter Anicet-Georges Dologuélé, arrivé en tête du premier tour avec 23,7 % des voix, et Faustin-Archange Touadéra, crédité de 19 % des suffrages. Martin Ziguélé, candidat battu à la présidentielle mais en lice pour un poste de député, avance un argument irréfutable : il ne voit pas comment on pourrait dissocier les deux scrutins puisqu'ils avaient lieu… le même jour et dans les mêmes bureaux de vote. Aujourd'hui seul le côté farce de ces élections l'a emporté.
Pourtant la communauté internationale, et surtout la France, pressait pour la mise en œuvre de ces élections dès l'automne 2015 pour «tourner la page» de la transition de Catherine Samba-Panza. Le pays avait connu un terrible basculement dans la violence, attribuée principalement aux milices Séléka et anti-balaka après le renversement en 2013 de François Bozizé par la rébellion Séléka conduite par Michel Djotodia. Se pose encore une fois la question de vouloir à tout prix des élections dans un pays où l'Etat est porté disparu depuis vingt ans.
Roland Marchal, chargé de recherche au CNRS et spécialiste de l'Afrique, avait dès novembre pointé les difficultés d'une telle élection en évoquant le pari insensé «de vouloir faire voter une nouvelle Constitution et de procéder à une présidentielle dans un pays en guerre civile». Un autre spécialiste pointait «l'inconséquence» de la diplomatie française à vouloir coûte que coûte «une élec tion présidentielle dans un pays livré aux prédateurs». Et de conclure, amer : «Le côté aberrant de ces élections saute aujourd'hui aux yeux.» Malgré les bonnes volontés affichées et l'appui d'experts européens, ces élections comportaient dès leur mise en place un risque majeur de fraudes massives et de gigantesques ratés. Mais le renouveau de l'Etat centrafricain devait en passer par un exécutif propre comme un sou neuf et sorti des urnes. Encore aurait-il fallu que les bulletins parviennent aux électeurs. L'entourage proche d'un chef d'Etat africain confiait ces dernières semaines son «inquiétude» sur ce qu'il résume d'une formule : «Aveuglement, bêtise et retour du Y'a bon Banania.»