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Diplomatie

Entre Washington et Téhéran, une réconciliation non sans crispation

L’accord sur le nucléaire décroché par Obama est vu comme une abdication par ses adversaires. Le guide suprême iranien, lui, parle de «duperie».
Barack Obama et Hassan Rohani en une des journée après leur première rencontre, le 28 septembre 2013. (Photo Behrouz Mehri . AFP)
publié le 26 janvier 2016 à 19h51

Depuis la signature, le 14 juillet, de l'accord sur le nucléaire iranien, Barack Obama répète à tout-va que «la confiance sera longue à établir» avec le régime des mollahs. Taxé de faiblesse par le camp républicain, qui l'accuse d'avoir capitulé face à Téhéran, le président américain le sait : il n'a aucun intérêt à se pavaner. C'est donc avec satisfaction mais prudence qu'il a accueilli les trois avancées récentes dans les relations entre les deux pays.

Le 16 janvier, l'Agence internationale pour l'énergie atomique a reconnu que Téhéran avait tenu ses engagements, ouvrant la voie à une levée des sanctions internationales. Le même jour, à la surprise générale, un échange de prisonniers a été annoncé, fruit de quatorze mois de tractations secrètes. En échange de sept Iraniens détenus aux Etats-Unis, Téhéran a libéré quatre Américano-Iraniens, dont le journaliste du Washington Post Jason Rezaian, détenu 540 jours pour espionnage. Enfin, un accord à l'amiable a été conclu pour le remboursement par Washington de 1,7 milliard de dollars (1,57 milliard d'euros) de dettes datant des années 70, avant la rupture diplomatique entre les deux pays.

«Consignes»

«Ces succès concrétisent l'investissement de l'administration Obama dans la diplomatie, estime Suzanne Maloney, spécialiste de l'Iran à la Brookings Institution. La libération des prisonniers par Téhéran ne fera pas changer d'avis les opposants à l'accord nucléaire, mais cela souligne l'utilité de la ténacité et du dialogue.» A ce propos, l'épisode des marins de la Navy appréhendés par les Gardiens de la révolution après être entrés (a priori par erreur) le 13 janvier dans les eaux iraniennes est révélateur. Une simple conversation téléphonique entre le secrétaire d'Etat américain, John Kerry, et son homologue iranien, Mohammad Javad Zarif, a permis la libération rapide des dix Américains.

En poste sous George W. Bush et Barack Obama, l'ambassadeur Stephen Mull a été témoin de cette détente progressive. Lors d'une réunion secrète à Genève en 2010, alors que Mahmoud Ahmadinejad était au pouvoir, il se souvient des «consignes très strictes» de la Maison Blanche : «Nous devions lire notre texte sans changer un mot. Les Iraniens avaient les mêmes instructions. C'était un échange stérile et très bizarre.» Nommé en septembre coordinateur pour la mise en œuvre de l'accord nucléaire, il a rencontré plusieurs fois ses homologues iraniens depuis. Et parle d'un changement «phénoménal» : «Nous avons toujours d'énormes divergences politiques, mais nous pouvons désormais avoir une réelle discussion.»

Voulu par Obama, qui y voit l'une des pierres angulaires de son héritage politique, le rapprochement avec Téhéran irrite au plus haut point les républicains. Une colère attisée par les récents propos du guide suprême iranien, l'ayatollah Khamenei, appelant à se méfier de la «duperie des Etats-Unis». Avec la levée des sanctions, et notamment le déblocage de dizaines de milliards de dollars d'avoirs gelés, les conservateurs américains redoutent que Téhéran augmente son aide financière au Hezbollah, aux islamistes palestiniens et à Bachar al-Assad. De nombreux experts estiment toutefois que Téhéran utilisera cette manne pour moderniser une économie asphyxiée par des années de sanctions. C'est le pari d'Obama et ses alliés. «Si, à court terme, la levée des sanctions a l'inconvénient de donner aux ultras du régime des nouvelles ressources, à long terme cela va surtout permettre à l'économie et à la société iranienne de s'ouvrir aux influences extérieures», pronostique dans Politico Philip Gordon, ex-secrétaire d'Etat adjoint et spécialiste du Moyen-Orient.

De fait, une semaine seulement après la levée des sanctions, l'Iran a annoncé une commande de 114 Airbus (lire page 3). Le contrat pourrait être finalisé lors de la visite du président Rohani à Paris. L'Iran négocie avec Boeing, l'aviation étant l'un des rares secteurs où les entreprises américaines sont autorisées à commercer avec l'Iran. Car si les sanctions internationales liées au dossier nucléaire ont été levées, celles adoptées à titre bilatéral par les Etats-Unis (en lien notamment avec les atteintes aux droits de l'homme et le programme balistique) restent en vigueur. Elles interdisent aux ressortissants et compagnies américaines d'être en affaires en Iran. «Cela va faire des entreprises américaines les plus grandes perdantes de l'accord», a dit à CNN Majid Rafizadeh, spécialiste de l'Iran à Harvard.

«Lambeaux»

Outre les sanctions, l'incertitude politique inquiète aussi les entreprises - américaines ou étrangères - désireuses d'investir sur le marché iranien. Dans un an, Obama aura fait ses adieux à la Maison Blanche. Et si le camp démocrate entend préserver son héritage, plusieurs candidats républicains, dont Ted Cruz et Marco Rubio, promettent de «déchirer en lambeaux» l'accord nucléaire. «C'est un discours de façade, nuance Farhad Alavi, d'Akrivis Law Group, qui conseille les sociétés désireuses d'investir en Iran. Cet accord a été négocié par six pays avec l'Iran, il sera difficile pour les Etats-Unis de trouver un consensus sur sa remise en cause. Les Français, les Anglais ou les Russes n'ont pas envie de rétablir les sanctions.»