Alors que l'infection alarme l'Amérique latine et vient de toucher l'Europe, Arnaud Fontanet, responsable de l'unité épidémiologie des maladies émergentes de l'Institut Pasteur, revient pour Libération sur le développement du virus.
«Zika est un virus que l’on ne connaît pas bien. On sait qu’il a été isolé chez des primates, pour la première fois, en Ouganda, en 1947 puis au même endroit en 1948 chez un moustique de type Aedes. On sait aussi, que comme le virus de la dengue ou du chikungunya, dont il est cousin, c’est un flavivirus et que, dans 80% des cas, il est asymptomatique. On sait enfin que la première épidémie chez l’homme remonte à 2007 où 73% des habitants des îles Yap, en Micronésie, avaient été infectés. Puis une deuxième épidémie, en 2013-2014, en Polynésie française. Dans la très grande majorité des cas, il était bénin.
«Les patients souffrent d’une fièvre, de douleurs articulaires, de conjonctivite ou d’éruptions cutanées, puis tout rentre dans l’ordre entre deux à sept jours. La dengue a une fièvre plus forte et est plus fatigante que le virus zika ; le chikungunya entraîne des douleurs articulaires qui peuvent devenir chroniques. Zika a quand même deux objets de préoccupations graves mais rares. La première, c’est le syndrome de Guillain-Barré, qui touche les nerfs périphériques, peut entraîner des paralysies des membres et des complications respiratoires et justifier une hospitalisation dans un service de réanimation. 42 patients en ont été atteints en Polynésie, dont dix d’entre eux ont été en soins intensifs.
«Le risque épidémique est faible»
«La deuxième complication, qui n’est apparue que lorsque l’épidémie est arrivée au Brésil en mars 2015, ce sont les microcéphalies d’enfants qui naissent avec un petit périmètre crânien, survenu chez des nouveaux nés de femmes qui ont connu une infection de zika. Près de 3 000 bébés brésiliens en souffriraient à cause de zika, sans savoir encore la proportion de femmes enceintes infectées ont des enfants avec cette atteinte neurologique grave. Pour ces deux complications, il y a un lien “biologique” avec le virus zika, même s’il doit encore être démontré statistiquement. Ainsi, l’Organisation mondiale de la santé considère aujourd’hui que le lien n’est pas encore avéré, mais il y a une forte suspicion alimentée par des informations qui convergent et s’accumulent.
«Bien sûr, comparé à la dengue, qui fait entre 10 000 et 50 000 morts par an, la mortalité est moindre. Le vecteur qui assure la transmission de la maladie en Amérique latine est le moustique Aedes aegypti, qui vient d’Asie. Dans des pays plus tempérés, comme le sud de la France, nous avons une faible présence d’un autre moustique Aedes, Aedes albopictus, dit aussi moustique-tigre, qui est actif de mai à novembre et qui pourrait aussi transmettre le zika. Même s’il n’y a pas encore eu de transmission officielle. D’autres facteurs existent aussi pour la transmission, comme la densité de moustique, moindre dans le sud de la France, que dans de zones tropicales. Même si le virus arrivait, on peut imaginer que, si une personne infectée rentre en France, où elle déclare la maladie et qu’elle est alors piquée par un moustique-tigre, on pourrait avoir une transmission autochtone. Comme il y a peu de moustiques-tigres, le risque épidémique est faible. On aura plus vraisemblablement quelques cas comme on l’a observé pour la dengue et le chikungunya, d’autant qu’un contrôle antivectoriel sera immédiat pour retirer tous les gîtes larvaires autour des maisons touchés.
«On ignore le nombre de personnes» infectées
«Pour autant, zika est-il une nouvelle menace pour la santé publique ? En Amérique latine, notamment au Brésil, on est dans une situation sanitaire grave. 3 000 enfants touchés, c’est très lourd, même si c’est moins important que 3 000 enfants qui meurent du sida ou 1 500 enfants qui meurent du paludisme par jour… Par rapport à un virus que l’on pensait bénin, c’est préoccupant. On ne saura qu’a posteriori au Brésil le pourcentage de gens infectés, mais cela peut aller jusqu’à 10%, 20% ou 30%, un chiffre important. Mais la réalité, et l’OMS l’a rappelé, c’est qu’on ignore le nombre de personnes souffrant du virus.
«Le diagnostic de l’infection est par ailleurs difficile à établir à cause des symptômes très proches, donc, de ceux de la dengue ou du chikungunya. Mais aussi en raison de réactions croisées avec le test de dépistage de la dengue. Du coup, aujourd’hui, les tests dont on dispose peuvent être de “faux positifs” en cas d’infection par la dingue ou le chikungunya et les trois infections peuvent cocirculer. Dans les tests de dépistages, du coup, détecte-t-on vraiment les anticorps de zika ? On travaille donc à établir un test diagnostic simple et fiable, notamment pour les femmes enceintes. La deuxième chose, c’est qu’il n’y a pas de traitement et pas de vaccin pour ces flavivirus, à commencer pour la dengue… La question pourrait se poser de trouver un vaccin pour des femmes en âge de procréer dans des zones endémiques de zika. Même s’il est encore trop tôt, compte tenu du manque d’informations dont on dispose aujourd’hui, sachant qu’il faut en moyenne trois ans pour y parvenir.»