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Epidémie

Zika au Brésil : «Venez à bout du moustique avant qu’il tue»

Zika, une menace mondialedossier
A São Paulo comme dans le reste du pays, le virus transmis par l’«Aedes aegypti» alarme les autorités, qui ont détaché 220000 soldats auprès des équipes chargées de sensibiliser la population aux risques de prolifération.
Des militaires brésiliens se préparent à une opération antimoustique, vecteur du virus zika, le 20 janvier à São Paulo. (Photo Andre Penner. AP)
par Chantal Rayes, Correspondante à São Paulo
publié le 29 janvier 2016 à 19h31

Infatigablement, Mirley (1), agent de santé communautaire, traque de porte en porte les amas d'eau qui pourraient servir de gîte à l'Aedes aegypti, le moustique à l'origine de la triple épidémie - dengue, zika et chikungunya - qui frappe le Brésil. La petite femme énergique inspecte tout ce qui peut servir de récipient aux eaux stagnantes, où se reproduit la redoutable bestiole. «On a beau faire des recommandations, parfois, ça entre par une oreille et ça sort par l'autre,raconte-t-elle. Indépendamment du niveau socio-économique. J'ai vu des piscines de villas transformées en viviers d'Aedes aegypti

La sécheresse inédite qui perdure depuis 2015, contraignant la population à stocker l’eau pour faire face à la pénurie, n’a rien arrangé. Endémique dans le pays, la dengue (ou grippe tropicale) y a battu un record l’an dernier, avec plus de 1,6 million de cas. Le virus zika, pour sa part, aurait déjà touché au moins un demi-million de personnes, auxquelles s’ajoutent plus de 20 000 cas suspects de fièvre chikungunya.

Et ce n'est que la partie émergée de l'iceberg, met en garde Adriano Mondini, spécialiste de la santé publique : «La sous-notification est importante car les équipes sanitaires sont surchargées et les méthodes de diagnostic archaïques.» Les foyers d'Aedes aegypti se trouvent pour la plupart dans les logements. Pour les traquer, le Brésil a annoncé une mobilisation nationale, détachant 220 000 soldats auprès des équipes chargées d'inspecter les habitations dans tout le pays. La présence de l'armée - institution très respectée - est censée convaincre les plus réticents d'ouvrir leur porte. «Beaucoup ont peur des hold-up», explique encore Mirley.

Alex, la trentaine, vit avec sa mère dans une coquette maison. Eux ont tout bon. Ils se tartinent de répulsif et ont perforé leurs pots de fleurs joliment suspendus pour éviter l'accumulation des eaux. Ils ont même posé une toiture sur la terrasse, «quitte à se priver de soleil». «Comme ça, on n'a plus à sécher le sol à chaque fois qu'il pleut», dit la mère zélée. Dans ce quartier populaire de São Paulo, trois cas récents de dengue ont mis le voisinage en alerte. Mirley et le jeune soldat qui l'accompagne sont donc les bienvenus. «Venez à bout du moustique avant qu'il nous tue !» supplie une vieille dame.

Sur une terrasse trempée par les fortes pluies de la veille, Mirley retourne des bouteilles de bière vides, houspillant gentiment une maîtresse de céans embarrassée : «Un peu d'eau dedans suffit pour que le moustique prolifère. C'est dangereux pour vous et pour les autres.»Son voisin est lui aussi penaud. Le réservoir dans lequel il recueille l'eau de pluie pour la réutiliser est plein de larves. Pourtant, il était bien fermé. Le soldat prend des photos, c'est pour son supérieur.

Avortement. Au Brésil, la dengue a fait 863 morts en 2015, mais c'est du zika qu'on parle désormais. Le ministère de la Santé a confirmé le lien de causalité entre le virus et un effroyable accès de microcéphalie chez les bébés pour l'heure concentré dans le Nordeste : 4 180 cas suspects sur les trois derniers mois, contre seulement 147 pour toute l'année 2014. Le Brésil est le premier grand pays atteint par le zika, dont il est devenu l'épicentre. Le virus y aurait été introduit pendant le Mondial de foot en 2014, qui a drainé des touristes de régions infectées, comme l'Asie. Ou encore pendant un championnat de canoë qui a eu lieu à Rio la même année, en présence d'athlètes de Polynésie, où une épidémie s'était déclarée en 2013. Des craintes pèsent déjà sur les JO 2016, qui se tiendront dans la ville en août. Mais le comité organisateur assure que le climat sec à cette époque de l'année écarte tout risque de prolifération du moustique pendant la compétition.

Président de la Société brésilienne de dengue et d'arbovirus, l'infectiologue Artur Timerman redoute, lui, une véritable «tragédie» : «D'ici à 2020, le pays pourrait compter 70 000 à 100 000 enfants microcéphales si on n'exhorte pas les femmes brésiliennes à éviter d'être enceintes maintenant. Or le gouvernement a fait marche arrière sur ce point, sous la pression des puissants lobbys religieux

Quand l'épidémie de zika s'est déclarée, Isadora était déjà en fin de grossesse. Elle s'est protégée en portant des vêtements couvrants malgré la chaleur. Pour la jeune maman, la microcéphalie devrait rouvrir le débat sur la dépénalisation de l'avortement. Il reste interdit au Brésil sauf en cas de viol, de risque pour la vie de la mère ou encore d'anencéphalie de l'enfant. En l'absence de tout vaccin, l'Etat se concentre sur la lutte contre le moustique, qui fait montre d'une extraordinaire résilience après avoir été éradiqué deux fois, en 1955 et en 1973. «Nous perdons gravement la bataille contre l'Aedes aegypti», a décrété le ministre de la Santé, Marcelo Castro, au grand dam de la Présidente, Dilma Rousseff, qui a promis vendredi que le pays allait «gagner la guerre contre le moustique» (lire ci-dessous). «Le Brésil est le paradis de l'Aedes aegypti, renchérit Artur Timerman. Au climat chaud et pluvieux, s'ajoutent l'urbanisation désordonnée et la déficience de nos infrastructures de collecte et de traitement des égouts et des déchets.»

«Mutation». Le spécialiste ne croit pas aux promesses de l'Aedes aegypti transgénique (lire Libération du 29 avril 2014). Mis au point par la société britannique Oxitec, ce moustique serait capable de décimer la population sauvage de l'espèce en transmettant à sa progéniture un gène qui la tue avant qu'elle n'atteigne l'âge de se reproduire. Malgré ses résultats prometteurs dans les quartiers de Piracicaba, ville moyenne de la province pauliste, où il est testé actuellement, l'«OX513A», son nom de code, n'a pas encore reçu l'aval des autorités sanitaires du Brésil. «On ne sait rien encore sur la performance de cet insecte dans de grandes villes comme São Paulo,explique Timerman. Sans parler du risque d'une réversion de la mutation génétique qui ferait de ce moustique modifié un vecteur de maladies encore plus puissant que son alter ego sauvage.»

(1) Certaines personnes ont souhaité garder l’anonymat.