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Primaires américaines

De Trump à Sanders, les outsiders en tête d’affiche

Bien que totalement opposés dans leurs programmes politiques, le milliardaire et le socialiste incarnent tous deux le rejet des élites traditionnelles.
Le favori républicain, Donald Trump (69 ans), dans la ville de Clintion, dans l’Iowa, en janvier 2015. (Photo Carlos Barria. Reuters)
publié le 31 janvier 2016 à 20h01

A ceux qui avaient oublié que la politique conserve toujours une grande part de mystère, à ceux qui pensaient que les scrutins passés et les sondages permettent de tout pronostiquer, la course à la présidentielle américaine de 2016 a donné une leçon magistrale. Il y a un an, alors que les premiers prétendants à la succession de Barack Obama se faisaient connaître, qui aurait parié que Donald Trump se présenterait ce lundi devant les électeurs de l’Iowa avec le statut de favori ? Qui aurait imaginé que Bernie Sanders, socialiste assumé dans un pays où ce mot demeure pour beaucoup une insulte, ferait jeu égal avec Hillary Clinton ? Donald Trump, Bernie Sanders : diamétralement opposés, les deux hommes incarnent toutefois les deux faces d’une même médaille, celle du rejet des élites politiques. Et du désir de changement radical qui l’accompagne.

Antinomiques

Conservateurs ou progressistes, indépendants ou ultras du Tea Party, nombre d'Américains partagent les mêmes angoisses : la menace terroriste, les inégalités galopantes et, plus largement, l'avenir des Etats-Unis. En 2008, avant l'élection d'Obama, 84 % des électeurs se disaient mécontents de la situation du pays, lequel était alors embourbé en Irak et au bord d'une récession historique. Huit ans plus tard, la situation économique s'est améliorée. Mais trois Américains sur quatre restent insatisfaits. «Certains électeurs sont manifestement arrivés à la conclusion que le seul moyen de sauver l'Amérique est de briser le moule, en élisant un millionnaire sans expérience gouvernementale ou un socialiste», analyse Elaine Kamarck de la Brookings Institution.

A ce désir de nouvelle donne, Bernie Sanders et Donald Trump apportent des réponses antinomiques. Le sénateur socialiste du Vermont s’en prend à la cupidité de Wall Street et prône l’éducation gratuite, la généralisation du congé maternité et la hausse du salaire minimum. Le milliardaire new-yorkais, lui, adopte un discours populiste et nationaliste proche de celui de l’extrême droite européenne. Ses cibles favorites : les immigrés illégaux mexicains et les musulmans, à qui il veut interdire l’accès au territoire américain.

Après des mois de déni, les responsables républicains et les éditorialistes politiques ont dû se rendre à l'évidence : Donald Trump a une réelle chance de remporter l'investiture pour la présidentielle de novembre. Selon le dernier baromètre du site Real Clear Politics, le magnat de l'immobilier recueille 35,8 % des intentions de vote au niveau national, loin devant son premier poursuivant, le sénateur du Texas Ted Cruz (19,6 %), autre figure antisystème. Dans l'Iowa, l'écart entre les deux hommes est plus serré (six points environ). Pour l'emporter, estiment les experts, Donald Trump devra compter sur une forte mobilisation de ses partisans, peu habitués à prendre part au processus politique. «Leur enthousiasme pour Trump est incroyable, stupéfiant, souligne Steffen Schmidt, professeur de sciences politiques à l'université d'Etat de l'Iowa. Si les gens sont capables d'attendre des heures dans un froid glacial pour assister à un meeting de Trump, pourquoi n'iraient-ils participer au caucus, bien au chaud à l'intérieur ?»

Ted Cruz, lui, mise sur le soutien des chrétiens évangéliques, électorat crucial dans un Etat très religieux. Après avoir longtemps retenu ses coups, le sénateur du Texas a durement attaqué Trump sur ses convictions morales, lui reprochant notamment d’avoir défendu, il y a plusieurs années, le droit à l’avortement. Derrière le duo de tête, Marco Rubio devrait repartir de l’Iowa avec la troisième place. Plus importante qu’elle n’y paraît, cette médaille de bronze permettrait au sénateur de Floride de s’affirmer comme la meilleure chance des républicains «conventionnels» de faire barrage à Trump ou Cruz.

Excitation

Douze candidats sont encore en lice. D’où un émiettement des voix qui bénéficie à Trump, d’autant que les quatre prétendants «modérés» (Marco Rubio, Jeb Bush, John Kasich et Chris Christie) n’en finissent plus de s’attaquer entre eux à coups de spots télé. Affolés par la perspective d’une candidature Trump ou Cruz, les responsables républicains et les donateurs du parti souhaitent que trois de ces quatre candidats jettent l’éponge au plus vite. La pression est particulièrement forte sur Jeb Bush, autrefois considéré comme l’un des favoris mais coincé à moins de 5 % dans les sondages. L’an dernier, le frère de George W. Bush et ses alliés ont dépensé 82 millions de dollars en publicités négatives, visant surtout à dénigrer Rubio. C’est huit fois plus que Ted Cruz et seize fois plus que Donald Trump.

Chez les démocrates, la course se résume à un duel entre Clinton et Sanders. Entre la continuité incarnée par l'ancienne cheffe de la diplomatie d'Obama et la rupture défendue par Sanders, partisan d'un New Deal social. Au niveau national, Hillary Clinton conserve une large avance sur son rival : 52 % contre 37 % selon Real Clear Politics. Mais dans l'Iowa, où l'ex-secrétaire d'Etat avait été battue par Obama en 2008, l'écart est infime. Le report des voix du troisième candidat, Martin O'Malley, pourrait faire la différence. Dans le New Hampshire, où l'on votera le 9 février, le prétendant socialiste possède même une avance de plus de 14 points. Malgré ses 74 ans, Bernie Sanders s'est imposé comme l'idole des jeunes démocrates. «Je pense que son projet le plus séduisant est l'accès aux études supérieures pour tous, estime Maria Svart, directrice des Socialistes démocrates d'Amérique, principale organisation socialiste du pays. Aujourd'hui, moins d'un jeune sur quatre peut aller à l'université. Et la majorité de ceux qui y vont en ressort avec une dette très handicapante, parfois impossible à rembourser, même après vingt ou trente ans dans la vie active.» Agacé par l'excitation générée par Sanders, l'entourage de Clinton martèle que s'il est investi, il sera battu par le candidat républicain. Un sondage semble le confirmer, 65 % des électeurs démocrates et indépendants estimant que Clinton a de meilleures chances. «Sanders n'est pas un choix rationnel. Les socialistes ne gagnent pas d'élections nationales aux Etats-Unis», écrit Dana Milbank, du Washington Post qui souligne toutefois que «l'ex-secrétaire d'Etat a une nouvelle fois échoué» à toucher les électeurs. «Ses positions politiques sont prudentes et ternes. Sa culture du secret provoque une nuée de scandales qui la suit partout», écrit-il. Vendredi, à trois jours du coup d'envoi des primaires dans l'Iowa, Hillary Clinton a vu l'affaire de sa messagerie privée resurgir au pire moment, la diplomatie américaine annonçant avoir trouvé des messages ultraconfidentiels envoyés lorsqu'elle était en poste. Ce dossier, sur lequel enquête le FBI, laisse planer une menace sur sa candidature, que les républicains ne manqueront pas d'exploiter jusqu'au bout.

Primaires, mode d’emploi

L'Iowa, qui se définit comme un «swing state», tantôt républicain, tantôt démocrate, est le premier Etat à lancer, ce lundi, une consultation électorale (appelée caucus) dans le cadre de la nomination des candidats républicain et démocrate à la présidence américaine. L'Iowa est considéré comme un «bellwether state», qui vote toujours pour celui qui remportera l'élection finale. En 2000, George W. Bush l'avait emporté dans cet Etat avant de gagner la présidentielle dix mois plus tard. De même pour Obama en 2008. Les habitants de l'Iowa vont donc élire, pour le parti politique qu'ils soutiennent, leurs délégués pour la convention de comté à laquelle leur circonscription appartient. Ces délégués élisent ensuite d'autres délégués pour les districts de l'Etat. Une dernière étape de cette série de votes est celle de la convention nationale en juillet. C'est là que ces représentants désignés lors des primaires valideront les noms des candidats à la présidence et à la vice-présidence pour leur parti.

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