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Libération
Reportage

Primaires : l’Iowa lance la présidentielle

Clinton, Sanders, Trump… Le coup d’envoi de la désignation des candidats a débuté lundi dans cet Etat clé.
La candidate et favorite démocrate Hillary Clinton (68 ans), dans l’Iowa, vendredi. (Photo Andrew Harnik.AP)
publié le 31 janvier 2016 à 20h01

Dans son bureau du centre-ville de Des Moines, Michael McCoy attrape son smartphone, fouille quelques instants dans sa messagerie vocale puis appuie sur lecture : «Salut Michael, c'est Jeb Bush. Je voulais discuter avec toi de quelques dossiers politiques…» Le message n'est pas stéréotypé, l'une de ces publicités envoyées automatiquement à des milliers de numéros. Non, ce jour-là, Jeb Bush, ancien gouverneur de Floride et prétendant républicain à la Maison Blanche, a appelé Michael en personne. Et il est tombé sur son répondeur.

Ni sénateur, ni grand patron, ni riche donateur, Michael McCoy n'est pas, loin de là, un poids lourd de la vie politique locale. Directeur par intérim d'une agence semi-publique de collecte des déchets, il est aussi, depuis 2012, conseiller municipal républicain de Clive, une ville de 15 000 habitants dans la banlieue ouest de Des Moines. Ailleurs aux Etats-Unis, ce quadragénaire n'aurait sans doute jamais reçu le moindre coup de fil d'un candidat à la présidentielle. Mais dans l'Iowa, la démocratie de proximité est à l'œuvre. Et un mandat électif local suffit à faire de vous une cible. Une personnalité à courtiser. Des appels comme celui de Jeb Bush, Michael McCoy en a donc reçu plusieurs ces derniers mois : Ted Cruz, John Kasich et Chris Christie, le gouverneur du New Jersey, «qui m'a pris par surprise un dimanche après-midi», plaisante-t-il.

Depuis 1972, l'Iowa donne le coup d'envoi de la course à l'investiture pour la présidentielle américaine. «First in the nation» («premier dans la nation») et fier de l'être, cet Etat rural du centre des Etats-Unis se transforme tous les quatre ans en arène politique incontournable. Pour ratisser ce territoire grand comme cinq fois la Belgique, les prétendants à la Maison Blanche démarrent parfois avant même d'être officiellement candidats. A l'image de Ted Cruz, deuxième derrière Donald Trump dans les sondages et dont la première visite dans l'Iowa remonte à juillet 2013. Ce lundi, quelques heures avant le début du caucus, le sénateur du Texas devrait achever un exploit appelé localement le «Full Grassley» : se rendre dans l'intégralité des 99 comtés de l'Etat.

Sans relâche, les prétendants à l'investiture ont enchaîné ces derniers mois réunion sur réunion dans des églises, des salles de classe, des cafés, des cuisines, des foires aux bestiaux. Souvent en petit comité - quelques dizaines de personnes - afin d'être au plus près des électeurs. «Un habitant de l'Iowa qui s'intéresse à la politique peut très facilement serrer la main de tous les candidats en course pour la présidentielle. S'il a de la chance, il peut même s'asseoir et discuter quelques minutes avec eux», raconte Michael McCoy. En cette fin de campagne indécise, les candidats ont rajouté des événements jusqu'au bout, à raison de trois à cinq réunions par jour.

Entorse à la tradition

Vendredi, 11 h 30 : Hillary Clinton est dans le gymnase de l'université Grand View, un établissement privé de Des Moines. Talonnée dans les sondages par le sénateur du Vermont, Bernie Sanders, l'ancienne First Lady supplie la foule d'aller voter. «Si vous me soutenez lundi soir, je vous promets de me battre pour vous lorsque je serai élue présidente», lance-t-elle. Tonnerre d'applaudissements, Hillary Clinton fait encore recette. «J'ai beaucoup aimé son intervention, surtout l'accent qu'elle a mis sur la nécessité de protéger l'environnement», confie Brian Christensen, 20 ans, étudiant en finance.

Quelques mètres plus loin, Clinton, à la peine avec l'électorat jeune qui se passionne pour Bernie Sanders, se prête à l'exercice des selfies. Dimanche soir, son adversaire socialiste devait tenir un meeting au même endroit. «C'est ma première élection et je me sens très privilégié de voir en personne les deux principaux candidats démocrates en l'espace de trois jours», ajoute Brian.

La veille, sur le campus de Drake University, des centaines de personnes ont fait la queue dans un froid glacial - et souvent en vain - pour assister à un meeting de Donald Trump. Habitué à faire voler en éclats les codes de la politique, le magnat de l'immobilier a mené campagne dans l'Iowa à sa manière : pas de réunions en petit format, peu d'interactions avec les électeurs. Une entorse à la tradition locale qui ne dérange pas ses partisans. «Trump est un rebelle. Il fait les choses à sa manière, a beaucoup de confiance en lui. C'est quelqu'un qui obtient des résultats et on en a bien besoin», estime Betsy. Lundi soir, cette enseignante de 57 ans participera au caucus dans son quartier et votera pour le milliardaire.

Au QG de campagne de Ted Cruz transformé en call center, une cinquantaine de personnes s'activent pour battre le rappel. Au mur : un poster du sénateur du Texas avec sa femme et leurs deux filles. «Nous passons en moyenne plus de 15 000 appels par jour depuis cette pièce. Nous rappelons aux électeurs que Ted Cruz est un vrai conservateur qui défend la famille, la sécurité nationale et s'oppose catégoriquement à l'avortement. Et nous les encourageons à aller voter», explique Rachael Slobodien, directrice de la communication du sénateur texan.

Mobiliser, encore et toujours. Tout au long du week-end, des milliers de volontaires ont mis les bouchées doubles dans un dernier porte-à-porte acharné. Niklas Moran, 30 ans, a fait vingt-quatre heures de train et de bus depuis New York pour venir soutenir Bernie Sanders. Il est 10 heures du matin et le jeune homme, cheveux longs, bottines fourrées et gilet en laine, remonte Glenwood Avenue. Sur une feuille, un plan sommaire de ce quartier cossu de l'ouest de Des Moines. Sur une autre, une liste précise des maisons auxquelles il doit frapper. Car le porte-à-porte est méthodique : à la veille du caucus, l'objectif n'est plus de rallier de nouveaux partisans mais de s'assurer que les supporteurs déjà identifiés iront voter. Après plusieurs tentatives infructueuses, une porte s'ouvre enfin. Carson Ode, 78 ans, ira bien soutenir le candidat socialiste. Il confie aussi son impatience que cette tornade politico-médiatique se termine. «Depuis des mois, vous ne pouvez plus allumer la radio ou la télévision sans tomber sur des publicités critiquant tel ou tel candidat. Cela devient vraiment fatiguant», souffle-t-il.

Retombées économiques

D'après le Des Moines Register, principal quotidien de l'Iowa, plus de 60 000 spots publicitaires ont été diffusés à la télé pendant la campagne, dont près d'un tiers depuis le 1er janvier. Un matraquage extrêmement coûteux : 33,8 millions de dollars (31 millions d'euros), plus que le budget de campagne de François Hollande en 2012. Cet argent n'est pas perdu pour tout le monde. Outre les millions des publicités qui enrichissent les médias locaux, la campagne électorale apporte son lot de retombées économiques à l'Iowa. Les hôtels, loueurs de voiture et restaurants sont les premiers bénéficiaires. Les centaines de volontaires et membres des équipes de campagne, dont certains s'installent pour plusieurs mois dans l'Etat, font leurs courses, leur plein d'essence. Tout cela génère des taxes qui alimentent les budgets locaux. Souvent critiqué pour son poids démesuré dans le processus politique (alors qu'il compte à peine 1 % de la population américaine), l'Iowa s'est toujours battu pour préserver son statut unique. Et les retombées économiques qui en découlent.

Après de longs mois de frénésie, le «Hawkeye State» rendra son verdict dans quelques heures, lors de réunions locales organisées simultanément par chaque parti dans les 1 680 circonscriptions de l'Etat. De la capacité de mobilisation de chaque candidat et de la qualité des orateurs parlant en son nom dépendra le verdict. Directrice de campagne de Barack Obama pour les minorités en 2012, Deidre DeJear soutient cette année Hillary Clinton. Dans son district, cette trentenaire a organisé un entraînement, un «caucus training» pour répartir les rôles. «Certains sont chargés de persuader les électeurs adverses. Un autre s'assure que personne ne fait défection. Et puis il y a un chauffeur, qui transporte ceux qui ne peuvent pas se déplacer. C'est presque comme une armée, on part à la guerre», sourit la jeune femme, l'air excité. Pour elle, les hostilités commencent à 19 heures. Dans une salle des fêtes latino du sud-ouest de Des Moines.