Ce lundi, la parole est à la défense dans le plus important procès jamais organisé par la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye (Pays-Bas). Celui de l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo et de son ministre de la Jeunesse, Charles Blé Goudé, jugés pour leur gestion de la crise post-électorale qu’a connue, entre fin 2010 et avril 2011, la Côte-d’Ivoire. Une période qui ne fait toujours pas consensus, une partie des Ivoiriens considérant que Gbagbo a bien remporté les élections et que les forces de son challengeur, Alassane Ouattara, aujourd’hui au pouvoir à Abidjan, se sont aussi rendues coupables d’exactions.
La procureure, Fatou Bensouda, s'est engagée à enquêter sur les exactions commises par le camp Ouattara, et affirme que les investigations sont déjà en cours (lire Libération du 27 janvier). Des déclarations qui laissent sceptiques les fidèles de Gbagbo : «Le mandat de la procureure se termine dans cinq ans, en 2021. Il lui a fallu quasiment cinq ans pour aboutir au procès de Laurent Gbagbo. Comment croire qu'elle pourra amorcer un procès visant le camp adverse, au pouvoir à Abidjan, dans un délai similaire ?» souligne, sarcastique, un proche de l'ancien président. L'absence de poursuites contre le camp Ouattara va certainement empoisonner de façon récurrente le procès Gbagbo, prévu pour durer trois ou quatre ans.
Molesté. Pourtant, en marge de la procédure, des nuages inquiétants s'amoncellent sur le camp Ouattara, en particulier sur Guillaume Soro, ancien chef rebelle aujourd'hui président du Parlement ivoirien. L'information est passée quasiment inaperçue, mais Soro est de facto mis en examen par la justice française. Une situation gênante pour le numéro 2 du pays, dont la femme vit en banlieue parisienne. En cause : son rôle dans des événements suivant l'arrestation de Laurent Gbagbo le 11 avril 2011.
Dans la famille Gbagbo, il y a aussi le fils, Michel, 46 ans, arrêté en même temps que son père, molesté et emprisonné dans le nord de la Côte-d'Ivoire pendant un an, alors qu'il n'a joué aucun rôle politique pendant cette période tragique. Michel Gbagbo, qui a la nationalité française par sa mère, avait porté plainte en France en 2012 «pour traitements inhumains et dégradants». Une plainte jugée recevable et qui a conduit la juge d'instruction Sabine Khéris à convoquer Soro à plusieurs reprises, sans succès. Mais en décembre 2015, apprenant que Soro est en France, elle délivre un mandat d'amener. Les policiers ne le trouvent pas à son domicile parisien et dressent un PV de «vaines recherches» (lire Libération du 7 décembre 2015), ce qui met de fait l'intéressé en examen, en vertu de l'article 134 du code de procédure pénale. On frôle l'incident diplomatique. Dans les médias, pourtant, la thèse d'une «levée du mandat d'amener» s'impose, alors qu'«on ne peut juridiquement pas lever un mandat d'amener», soupire-t-on au parquet de Paris.
Embarrassées, les autorités ivoiriennes avaient commencé par dévoiler «un ordre de mission» justifiant la présence de Soro pour la COP 21. Alors que lui-même avait affirmé sur Twitter être à Paris «en voyage privé». Mais à l'issue de la période concernée par la «mission», «sa mise en examen intervient automatiquement», affirme-t-on de source judiciaire. Les grandes manœuvres ont donc commencé à Abidjan, où l'on a prétendu n'avoir jamais reçu de commission rogatoire concernant le président de l'Assemblée, avant de rétropédaler, lorsque l'ambassade de France a confirmé avoir bien transmis ladite commission aux autorités.
Malaise. Le 12 janvier, le président Ouattara a viré deux ministres, accusés de ne pas avoir fait leur travail. Invitée depuis à venir entendre Soro à Abidjan, Sabine Khéris a décliné, quelque peu échaudée, selon certains, par la campagne au vitriol orchestrée sur place contre l'ingérence de la justice française. Ce qui n'a pas empêché Soro de porter plainte en France pour «diffamation» contre Michel Gbagbo. Le malaise à Abidjan est peut-être plus profond encore : la semaine dernière, une fuite orchestrée par Nord Sud, un journal proche de Soro, affirmait que Hamed Bakayoko, actuel ministre de l'Intérieur ivoirien, faisait l'objet d'une commission rogatoire. Or seuls cinq de ses subordonnés sont en réalité visés. De notoriété publique, Soro et Bakayoko sont les deux prétendants rivaux à la succession de Ouattara et leurs relations sont «exécrables».
Pour Soro, les ennuis ne se limitent pas à Paris. Au Burkina Faso, la justice militaire a très envie de l’entendre sur son rôle dans le coup d’état manqué fomenté en septembre par des ex-membres de la garde présidentielle restés fidèles au président déchu, Blaise Compaoré, et a lancé un mandat d’arrêt international contre lui.