L'épidémie du virus zika constitue «une urgence de santé publique de portée mondiale», a estimé ce lundi l'Organisation mondiale de la santé (OMS) qui avait réuni à huis clos son comité d'urgence, sous forme d'une conférence téléphonique.
D’où vient le virus zika ?
Le virus a été isolé la première fois en 1947 dans la forêt de Zika, en Ouganda, sur les bords du lac Victoria, parmi les singes rhésus par le biais d'un réseau de surveillance de la fièvre jaune selvatique. «On l'a ensuite identifié chez l'homme en 1952 en Ouganda et en République unie de Tanzanie», explique l'Organisation mondiale de la santé. Pendant de nombreuses années, seuls des cas sporadiques ont été détectés chez des humains en Afrique et en Asie du Sud. «Une quarantaine de cas cliniquement documentés, tout ou plus, la preuve que l'on n'avait pas identifié de problème», dit Vincent Robert, entomologiste médical à l'Institut de recherche pour le développement (IRD). «La première épidémie chez l'homme remonte à 2007, où 73 % des habitants des îles Yap, en Micronésie, avaient été infectés», rappelle Arnaud Fontanet, directeur de l'Unité d'épidémiologie des maladies émergentes à l'Institut Pasteur de Paris. Soit environ 5 000 cas. Une deuxième épidémie a eu lieu, en 2013-2014, en Polynésie française, où elle a fait 55 000 malades. Dans la très grande majorité des cas, les manifestations cliniques de l'infection avaient été bénignes. Puis en mars 2015, l'épidémie est réapparue en Amérique latine, au Brésil, où 1,5 million de personnes seraient touchées, selon l'OMS. Soit l'épidémie la plus importante jamais connue puisqu'elle frappe à ce jour près de vingt-cinq pays.
Comment se transmet-il ?
Le zika est un virus transmis à l'homme par les moustiques du genre Aedes, «très nombreux dans le monde», dit Vincent Robert, notamment Aedes aegypti, dans les zones tropicales et subtropicales, et Aedes albopictus, capable d'hiberner et de survivre dans des milieux plus tempérés. «Ces moustiques véhiculent également d'autres arbovirus, comme la dengue et le chikungunya, rappelle Vincent Robert. L'Aedes aegypti est présent depuis plusieurs siècles aux Antilles et en Guyane. En métropole, seul l'Aedes albopictus est présent, on le surnomme moustique tigre en raison des rayures qui le couvrent.»
Le vecteur qui assure la majorité de la transmission de la maladie en Amérique latine est le moustique Aedes aegypti. «Seule la femelle pique, se nourrissant de façon intermittente et de préférence sur plusieurs personnes, précise l'OMS. Rassasiée, il lui faut trois jours de repos avant de pondre ses œufs. Ceux-ci peuvent survivre jusqu'à un an sans eau. En présence d'eau - une quantité réduite d'eau stagnante suffit -, les œufs se transforment en larves, puis en moustiques adultes.» La meilleure prévention contre ces insectes et leurs gîtes larvaires consiste à se protéger contre les piqûres en portant des vêtements couvrants et des répulsifs (le moustique tigre pique surtout en début et en fin de journée), en installant des moustiquaires et en évitant de laisser des lieux de ponte, c'est-à-dire tout récipient contenant de l'eau stagnante : vases, matériel de jardin, pneus, flaques d'eau, piscines à l'abandon, etc (lire Libération du 30 janvier).
Quels sont les symptômes ?
«Les symptômes bénins des arboviroses habituelles transmises par des arthropodes suceurs de sang (moustiques, tiques) apparaissant quelques jours après la piqûre par le moustique infecté», estime Arnaud Fontanet. La plupart des sujets atteints présentent une fièvre légère et une éruption cutanée, parfois accompagnées «d'une conjonctivite, de douleurs musculaires et articulaires et de fatigue, note l'OMS. Les symptômes disparaissent généralement en deux à sept jours et peuvent être traités avec les médicaments courants contre la douleur et la fièvre, du repos et beaucoup d'eau. S'ils s'aggravent, il faut consulter un médecin». Mais «il n'y a pas, à ce jour, de preuve encore établie de la létalité du virus», dit Rodolphe Hamel, ingénieur en biologie moléculaire à l'IRD.
La première des deux complications associées au zika se traduit sous la forme de microcéphalies. «Il s'agit d'enfants qui ont un retard du développement du cerveau et naissent avec un crâne de petite taille, alors que leur mère a été infectée par le virus zika pendant la grossesse», rappelle Arnaud Fontanet. L'OMS considère que le lien entre virus et microcéphalie n'est pas encore avéré, mais il y a une forte suspicion alimentée par des informations qui convergent et s'accumulent. Les autorités sanitaires brésiliennes ont rappelé mercredi que 4 180 cas suspects ont été dénombrés au Brésil, contre 147 confirmés en 2014.
Seconde complication : le syndrome de Guillain-Barré, une maladie auto-immune «qui touche les nerfs périphériques, peut entraîner des paralysies des membres et des complications respiratoires et avait touché 42 patients en Polynésie en 2013 et 2014», estime Arnaud Fontanet, de l'Unité d'épidémiologie des maladies émergentes.
Comment traiter le virus ?
Il faut déjà commencer par le diagnostiquer par PCR (amplification en chaîne par polymérase) à partir d'échantillons sanguins. Le diagnostic clinique de l'infection est difficile à établir à cause des symptômes très proches de ceux de la dengue ou du chikungunya. Mais aussi en raison de réactions croisées des tests sérologiques avec les autres virus de la même famille, «des flavivirus, comme le virus de la dengue, du Nil occidental ou de la fièvre jaune», rappelle l'OMS.
Du coup, aujourd'hui, «les tests dont on dispose peuvent être de "faux positifs" en cas d'infection par la dengue ou le chikungunya dans des pays où les trois infections peuvent cocirculer, admet Arnaud Fontanet, de l'Institut Pasteur. On travaille donc à établir un test diagnostic simple et fiable, notamment pour les femmes enceintes».
Sur le front des laboratoires, c'est déjà la course… à la communication. Mais «impossible de trouver un vaccin avant plusieurs années», note un expert de l'Institut Pasteur. Cela n'empêche pas un consortium, qui compte notamment la société pharmaceutique Inovio, d'évoquer une possibilité de vaccin à des fins d'urgence d'ici la fin de l'année. Hawaii Biotech assure avoir lancé un programme, à l'automne 2015, visant à tester un candidat vaccin. Et Replikins se prépare à des expériences sur des animaux. «Reste que si les femmes enceintes sont de plus en plus touchées, la mobilisation de l'industrie pharmaceutique va être rapide, et on devrait vite aller vers un vaccin car, contrairement à Ebola par exemple, zika appartient à une famille virale pour laquelle on dispose de l'un des meilleurs vaccins : la fièvre jaune», avance un expert.
Que reste-t-il à découvrir ?
«On ne sait pas encore beaucoup de choses sur le virus», admet Rodolphe Hamel, de l'Institut de recherche pour le développement. Des chercheurs de l'IRD au Gabon se sont penchés sur l'épidémie concomitante de dengue et de chikungunya qui a affecté 20 000 personnes en 2007 à Libreville, la capitale. «Des chercheurs ont analysé une seconde fois les échantillons sanguins prélevés il y a sept ans sur les malades, raconte Rodolphe Hamel. Résultat : de nombreux cas étaient dus au virus zika. Les habitants de Libreville ont été infectés par ce dernier avec la même fréquence que par les virus de la dengue ou du chikungunya. La capitale a donc connu en 2007 une épidémie concomitante de dengue, de chikungunya et de zika.» L'OMS pointe d'autres incertitudes. On manque de connaissances sur les caractéristiques «épidémiologiques du virus, par exemple période d'incubation, rôle des moustiques dans la transmission et extension géographique du virus». On ignore les interactions du virus «avec d'autres arbovirus, c'est-à-dire des virus transmis par le moustique, la tique et d'autres arthropodes, comme le virus de la dengue». Enfin, la communauté internationale doit rapidement mettre au point un laboratoire des «tests diagnostiques plus spécifiques pour zika afin de réduire les erreurs de diagnostic imputables à la présence de la dengue ou d'autres virus dans un échantillon». Et surtout, avancer sur les traitements et les vaccins.
Comment peut progresser l’épidémie ?
«On commence à mieux comprendre le déroulé», note Vincent Robert, de l'IRD. L'épidémie de chikungunya sur l'île de la Réunion, qui a tué 225 personnes et contaminé 260 000 habitants (le tiers de la population) a été «riche d'enseignements» : «Comme tout virus, il connaît une courbe classique de croissance exponentielle, très vive, surtout quand le virus est nouveau dans une zone donnée (comme zika en Amérique) ; puis un pic de densité, et une décrue survient sur le même mode d'autant qu'une fois le virus attrapé, la personne est immunisée.»
Les experts l'assurent tous : l'épidémie reste probablement en phase de croissance, même si un pic a peut-être été atteint au Brésil, du moins dans les Etats du nord du pays. Mais elle devrait continuer à se développer dans les autres pays sud-américains, aux Antilles et dans les Caraïbes. Quant à l'Europe, et notamment les Etats du Sud et la France, il y aura vraisemblablement des cas autochtones, s'accordent à dire les experts sanitaires. A ce jour, néanmoins, tous les patients détectés sont des cas «d'importation».
Reste une autre question : l'impact de la mondialisation et du changement climatique. Aedes aegypti se reproduit dans les eaux stagnantes. Or, constate l'OMS, les «sécheresses prononcées, inondations, pluies torrentielles et élévation de la température sont autant d'effets connus du phénomène el Niño - un réchauffement de la partie centrale et orientale de l'océan Pacifique tropical» qui facilitent le développement des moustiques. «On peut s'attendre à une prolifération des moustiques à la suite du nombre croissant de gîtes larvaires favorables», prévient-elle.