«Mettre la pression» sur les autorités grecques afin qu'elles améliorent les conditions d'enregistrement et de contrôle des migrants, tout en promouvant «un esprit d'assistance» : voilà, selon l'entourage du ministre de l'Intérieur, le message de Bernard Cazeneuve qui se rend ce jeudi sur l'île de Lesbos, principal point d'entrée de réfugiés dans l'Union européenne (UE). «Il y a des lacunes dans les contrôles, mais on peut aider, fournir de l'assistance», précise-t-on place Beauvau.
Le dispositif reste chaotique et très inquiétant en matière sécuritaire : des migrants arrivent, tous ne sont pas enregistrés et contrôlés comme ils le devraient, puis ils prennent le bateau vers Le Pirée et disparaissent dans la nature. Entre-temps, la chasse notamment aux faux passeports irakiens et syriens – volés vierges et en masse puis réintroduits dans le circuit avec tous les aspects de la légalité – n’est pas faite correctement, ce qui pose un gros souci, sachant que plusieurs des terroristes du 13 Novembre à Paris ont emprunté cette route dite des migrants.
Les Grecs en mauvaise posture
L'idéal, aux yeux de la France, serait de faire un premier tri dès Lesbos, en fonction des trois types définis : ceux qui, venant de pays en guerre (Syrie, Irak…), sont a priori éligibles quasi-automatiquement à l'asile. Ceux qui, venant de pays comme le Soudan, peuvent déposer une demande d'asile, sachant qu'elle a, dans le cas de ce pays, une chance sur deux d'être acceptée. Et enfin ceux qui, considérés comme migrants «économiques» – en fait, fuyant la misère et cherchant du travail – n'ont pas vocation à obtenir l'asile. Ceux-ci devraient théoriquement être «éloignés» – en français, expulsés. Mais le système «d'éloignement» ne fonctionne guère en Grèce, pas plus que dans les autres pays, notamment parce qu'il est très difficile à mettre en œuvre : il faut placer les personnes en rétention, donc avoir les structures pour, et obtenir l'accord du pays «de retour» pour y renvoyer ses ressortissants, ce qui n'est pas toujours évident.
Avec ses lacunes, «il s'agit de placer la Grèce devant ses responsabilités, explique un conseiller. Et aussi de lui montrer qu'on veut l'aider afin qu'elle ne soit pas en mesure de dire "l'Europe nous a laissés tout seuls".» Pour l'instant, les Grecs se retrouvent en mauvaise posture : ils sont, depuis la semaine dernière, menacés par l'UE d'être mis au ban de Schengen, la zone de libre circulation, faute d'amélioration dans les contrôles. «Ceci a été improprement analysé comme une mise en quarantaine ou une exclusion de la Grèce de Schengen», estime-t-on à Paris – c'est pourtant bien la réalité.
«Mettre la pression sur l’UE»
Mais Paris ne voudrait pas trop accabler Athènes. D'ailleurs, comment la France aurait-elle agi si 800 000 migrants avaient débarqué sur les côtes de la Corse en 2015 ? C'est ce qui s'est passé à Lesbos, où le flux continue à être très important (62 000 arrivées en Grèce en janvier, quarante fois plus qu'en janvier 2015), avec des conséquences humaines dramatiques (déjà 360 morts en Méditerranée, dont 270 entre la Turquie et la Grèce). Pour Paris, les Grecs n'y arriveront pas tout seuls et, selon une conseillère de Cazeneuve, cette visite, à laquelle s'associera le ministre allemand de l'Intérieur à Athènes, «est aussi une manière de mettre la pression sur l'UE».
Car Paris prône en la matière une «maîtrise d'ouvrage européenne» avec un financement de l'UE : «Ce n'est pas à l'Italie et à la Grèce d'assumer seules une crise migratoire qui nous concerne tous, fait-on valoir. On pousse l'idée que l'UE doit prendre en charge.» Voilà pour la théorie. Mais on en est très loin dans la pratique. Les obstacles sont nombreux. «D'abord, il appartient aux Grecs d'accepter», note-t-on. Ensuite, les fameux «hot spots» censés enregistrer et trier les migrants ont bien du mal à démarrer. Il n'y en a qu'un, à Lesbos, sur les cinq prévus. Au bout de la chaîne, la relocalisation des demandeurs d'asile – la France peut en prendre 15 300 en 2016 et autant en 2017 – ne fonctionne qu'au compte-gouttes : «Au hot spot de Lesbos, 300 dossiers de relocalisation ont été acceptés, dont 110 pour la France», explique un conseiller.