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Libération
édito

L’Europe sous la menace des dérives populistes de l’ex-bloc de l’Est

publié le 3 février 2016 à 18h41

Ils posent un même défi au projet européen, l'obligeant à s'interroger sur ses valeurs comme sur son avenir. Le Hongrois Viktor Orbán, redevenu Premier ministre en 2010, comme le Polonais Jaroslaw Kaczynski, du parti Droit et Justice (PiS), grand vainqueur des élections d'octobre, ne cachent plus leur fascination réciproque. Ils affichent un même nationalisme conservateur et europhobe qui les amène à dénoncer avec les accents les plus démagogiques les migrants, en premier lieu les musulmans, «potentiels terroristes» et «porteurs d'épidémies» qui menacent l'identité chrétienne de l'Europe. Ils ont le même goût pour les postures autoritaires, et ils se sont assuré le contrôle de tous les rouages politiques, administratifs, judiciaires - y compris la Cour constitutionnelle -, ainsi que des médias publics de leur pays. Orbán tente maintenant d'instaurer une loi sur l'état d'urgence face à un risque terroriste qui renforcerait encore un pouvoir toujours plus absolu. Malgré ces évidentes atteintes à l'Etat de droit dénoncées depuis plusieurs années par d'anciens dissidents et par une partie de la société civile, l'UE a juste lancé en 2012 trois procédures pour des infractions économiques. Le Fidesz hongrois au pouvoir est membre du puissant Parti populaire européen (démocrates-chrétiens). Poids lourds économique et démographique de l'ex-bloc de l'Est, la Pologne inquiète beaucoup plus Bruxelles. Kaczynski a imposé en trois mois à peine ce qu'Orbán a mis cinq ans à faire. Il n'a en outre aucune charge officielle, mais, comme jadis un premier secrétaire communiste, c'est lui qui, en tant que chef du parti, dirige réellement son pays. La jeune Première ministre polonaise, Beata Szydlo, était, elle, convoquée à Bruxelles mi-janvier. La procédure pour atteinte à l'Etat de droit, qui prévoit théoriquement des sanctions dont une suppression du droit de vote, est aussi longue que compliquée à mettre en œuvre. Varsovie et Budapest peuvent en outre compter sur le soutien d'autres capitales de l'Est. Ce qui se passe dans ces pays, sortis en 1989 de près d'un demi-siècle de domination soviétique, doit être pris très au sérieux. Cette «autre Europe» anticipe aussi des phénomènes qui s'étendent ensuite au reste du continent. Près de la moitié des pays qui ont adhéré à l'UE depuis le grand élargissement de 2004 n'étaient pas des Etats souverains avant la chute du Mur. Ce processus de fragmentation menace aujourd'hui aussi bien l'Espagne que le Royaume-Uni ou la Belgique. La montée en puissance de ces leaders populistes et xénophobes de l'Est représente aussi un clair avertissement. La Pologne était jusqu'ici une incontestable success story de l'élargissement. Kaczynski a su cristalliser toutes les frustrations des exclus de ce miracle et toutes les peurs identitaires pour gagner le scrutin, et mettre en œuvre son programme de restauration bigot chauvin et anti-européen.