L’ONG Human Rights Watch et l’ONU ont rendu publics jeudi au moins six nouveaux cas d’abus sexuels à Bambari. Dans cette ville située dans le centre du pays, près de 400 casques bleus assurent le maintien de la paix. Et ce sont encore une fois des soldats de la Minusca (Mission intégrée multidimensionnelle de stabilisation des Nations Unies en République centrafricaine) qui sont mis en cause. Les allégations visent cette fois des militaires du Congo-Brazzaville. Précédemment, des soldats français avaient été mis en cause pour des accusations d'abus sexuels sur des enfants en échange d’argent et de nourriture - entre décembre 2013 et juin 2014 - dans l’immense camp qui jouxte l’aéroport de Bangui.
Entre la mi-septembre et la mi-décembre 2015, un petit contingent de Casques bleus originaires de la république du Congo a été déployé à titre provisoire afin de protéger l’aérodrome de Bambari. La plupart de ces actes ont été perpétrés dans l’aérodrome et ses environs.
Voici par exemple le témoignage d'une femme de 18 ans. Fin 2015, elle se rend dans la base située à proximité de l'aérodrome et où sont stationnées ces troupes congolaises. Elle vient chercher de la nourriture. Selon ses dires, les Casques bleus armés l'emmènent de force dans la brousse où ils lui font subir un viol collectif : «Il y en avait trois sur moi. Ils étaient armés. Ils m'ont dit que si je résistais, ils me tueraient.»
Ecoutons cette fille de 14 ans : «Les hommes portaient leur tenue militaire et ils avaient leur fusils. Je suis passée à côté d'eux et soudain, l'un d'eux m'a attrapée par les bras et l'autre a déchiré mes vêtements. Ils m'ont traînée jusque dans les grandes herbes…»
Le contingent «rapatrié»
Dans tous les cas d’exploitation et d’abus sexuels documentés par Human Rights Watch, les femmes vivaient dans des camps de personnes déplacées internes à Bambari lorsque les exactions ont eu lieu. La politique de l’ONU régissant le comportement des Casques bleus interdit toute relation sexuelle avec des membres de la communauté locale. Jeudi, le chef de l’ONU en Centrafrique s’est déplacé à Bambari en bombant le torse, demandant des sanctions exemplaires. Pour le moment, le contingent incriminé est caserné et la compagnie mise en cause (120 hommes) a été «rapatriée» vers Brazzaville.
En vertu de l'accord signé entre l'ONU et les pays qui fournissent des contingents aux missions de maintien de la paix, c'est au pays qui fournit les troupes d'engager des poursuites judiciaires contre les soldats qui commettent des actes d'exploitation et d'abus sexuels. L'ONU peut renvoyer des contingents dans leur pays d'origine et leur interdire de participer à de futures missions onusiennes mais elle n'est dotée d'aucune capacité indépendante pour les poursuivre en justice. Evrad-Armel Bondadé, secrétaire général de l'Observatoire centrafricain des droits de l'homme (OCDH), joint par Libération, ne peut que constater l'aplatissement d'un pays où «les faiseurs de paix» se transforment en prédateurs : «Nous avons lancé au sein de notre comité local une demande d'information depuis hier [jeudi, ndlr]. Par ailleurs, comme pour l'affaire des soldats français mis en cause pour les mêmes faits l'an dernier et dont on ne sait rien des avancées de l'enquête, la justice centrafricaine, qui avait été écartée sur cette affaire, est encore une fois tenue à l'écart», se désole-t-il.
Peu ou pas d’informations sur les procédures disciplinaires
Un rapport publié en 2015 par le Bureau des services de contrôle interne de l'ONU évaluant l'application de son règlement relatif à l'exploitation et aux abus sexuels a constaté que les pays fournissant des contingents communiquaient peu ou pas d'informations au sujet des procédures disciplinaires engagées dans les pays dont ces contingents étaient originaires. Ce rapport indiquait également que l'ONU et les pays qui fournissent des contingents s'abstenaient de tenir les commandants pour responsables des actes d'exploitation et d'abus sexuels perpétrés par leurs contingents. Ce que confirme Evrard-Armel Bondaré : «Notre crainte, c'est que l'effet du scandale disparaisse assez vite, une info chassant l'autre, et que l'affaire s'éteigne doucement.»
En juin 2014, Human Rights Watch avait déjà publié des informations sur les disparitions forcées de 11 à 18 personnes attribuées à des Casques bleus originaires de la république du Congo à Boali, ainsi que sur la mort sous la torture de deux autres personnes à Bossangoa. A l’époque, les Casques bleus congolais étaient placés sous les ordres de la mission de l’Union africaine (UA) en République centrafricaine, la Misca. Les contingents impliqués ont fini par être retirés. Human Rights Watch n’a jamais eu connaissance d’enquêtes ou de poursuites qu’auraient menées les autorités judiciaires en République du Congo en rapport avec ces crimes.