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Libération
Analyse

Alep, un défi pour la crédibilité occidentale

publié le 8 février 2016 à 19h51

A nouveau, des dizaines de milliers de civils syriens, en majorité des femmes et des enfants, s’entassent à la frontière turque. Ils ne fuient pas les terroristes de l’Etat islamique (EI) mais, comme la plupart des quelque cinq millions de réfugiés en Turquie, au Liban ou en Jordanie, ils veulent échapper aux soudards du régime d’Al-Assad, en passe d’encercler Alep avec le soutien de massifs et meurtriers bombardements russes. Cette ville, la plus peuplée du pays, est un symbole. Elle est la «capitale» de la rébellion démocratique qui en contrôle la moitié depuis juillet 2012. Ses combattants en ont aussi chassé les tueurs de l’EI en même temps qu’ils continuent à affronter le régime.

La bataille d'Alep, où les défenseurs se préparent à un long siège, est un révélateur. Elle nous rappelle à des réalités que Washington, comme les capitales européennes engagées dans la lutte contre l'Etat islamique, devenue la priorité, préfèrent ne plus voir. «L'EI est une menace pour le monde, Assad l'est pour son peuple», avait résumé le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, après les attentats du 13 Novembre, illustrant le tournant de Paris qui avait considéré jusque-là ce groupe jihadiste et le régime syrien comme les deux faces d'une même médaille.

En Syrie, les Occidentaux et les Russes ne font pas la même guerre. Les premiers mènent des frappes contre l’Etat islamique. L’intervention de Moscou, elle, vise toujours plus clairement à sauver le régime et à lui permettre de reconquérir la plus grande partie de ce qu’il considère être la «Syrie utile». La résolution des Nations unies, acceptée pour la première fois par Moscou et censée ouvrir un processus de transition, n’est que poudre aux yeux. Ainsi, pendant que se tenaient à Genève ces négociations mortes-nées, l’aviation russe, mais aussi des chars de dernière génération, avec des conseillers russes à bord, ont lancé leur grande offensive qui pourrait être un tournant du conflit.

La chute d'Alep serait une tragédie et pas seulement pour la Syrie. Ce qui reste de crédibilité des Occidentaux est en jeu. A l'été 2013, malgré les «lignes rouges» clamées par Barack Obama, Washington avait renoncé à frapper un régime qui employait l'arme chimique contre son propre peuple. Cette dérobade a eu notamment pour conséquence d'encourager Poutine à la surenchère au Moyen-Orient ainsi qu'en Ukraine. Deux ans et demi plus tard, un Obama encore plus timoré va-t-il rester sans réagir face à l'anéantissement des forces de la coalition de l'opposition que Washington soutient aux côtés de l'Arabie Saoudite et de la Turquie ? On peut le craindre. Des centaines de milliers de civils dans une cinquantaine de villes sont assiégés par un régime qui n'hésite pas à utiliser la famine comme arme de guerre. C'est le cas à Madaya, 40 000 habitants, pourtant tout près de la frontière libanaise. Bientôt, ce pourrait être le sort d'Alep.

Au compte-gouttes, après de laborieuses négociations, le régime laisse parfois passer un convoi de l'ONU. Ne serait-il pas plus efficace de faire des parachutages humanitaires ? La défense anti-aérienne syrienne, soi-disant redoutable, n'a jamais réussi à empêcher les raids de l'aviation israélienne. On laisse entendre à Paris comme à Londres que «la réflexion sur le sujet est ouverte». Il y a urgence. Il faut surtout trouver les moyens d'aider, y compris militairement, les groupes de l'opposition car leur écrasement et la victoire d'un régime responsable de la plus grande partie des 300 000 morts du conflit ne feraient que nourrir encore un peu plus l'islamisme radical. Et surtout le mépris des Russes comme de leurs protégés syriens ou iraniens pour la lâcheté de l'Occident.