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Yánis Varoufákis, franc-tireur et sans frontières

Avec le mouvement DiEm 2025, lancé ce mardi à Berlin, l’ancien ministre grec des Finances veut rendre l’UE plus transparente. Il s’est confié à «Libération».

Yanis Varoufakis, en septembre 2015. (Photo Jérôme Bonnet)
ParFabien Perrier
Envoyé spécial à Berlin
Publié le 09/02/2016 à 19h31

Un brin provoc, Yánis Varoufákis, ancien ministre grec des Finances, a choisi mardi l'ex-Berlin-Est pour effectuer son retour en politique européenne. Poussant le symbole jusqu'au bout : au sein de la Volksbühne, littéralement «la scène du peuple», le plus fameux des théâtres de la capitale allemande, il a choisi le Roter Salon («salon rouge») pour orchestrer la conférence de lancement de DiEm 2025 («Mouvement pour la démocratie en Europe 2025»). «C'est un mouvement paneuropéen dont le principe est à la fois simple et radical», explique à Libération ce «marxiste erratique», comme il se définit lui-même. Et d'exposer : «Nous voulons démocratiser l'Union européenne. L'Europe est prise dans un cercle infernal et risque de sombrer.»

Pour la remettre dans le droit chemin, il est donc venu sur les terres de la chancelière allemande, Angela Merkel, et de son ministre des Finances, Wolfgang Schäuble, avec lesquels il a croisé le fer pendant six mois. Ils sont pour partie les causes du problème grec et de l’échec de l’UE, estime Yánis Varoufákis. Lorsqu’il était membre du gouvernement Syriza, la gauche grecque menée par Aléxis Tsípras, il revendiquait la fin de la rigueur dans son pays. Avec leurs alliés européens, Angela Merkel et Wolfgang Schäuble ont imposé à la Grèce la poursuite de ces politiques d’austérité, empreintes d’un ordolibéralisme né en Allemagne.

«Localement». Six mois après son arrivée à la tête du pays en janvier 2015, Syriza aura dû renoncer à son programme électoral en signant un troisième mémorandum, c'est-à-dire en acceptant un autre prêt de 86 milliards d'euros pour rembourser ses dettes, tout en promettant d'appliquer de nouvelles mesures d'austérité. «Les politiques économiques menées dans l'Union européenne dressent les peuples européens les uns contre les autres ; l'UE se fragmente. Alors que ces politiques sont un véritable échec, la réponse qu'apporte Bruxelles à cette désintégration est d'accroître l'autoritarisme», déroule l'ex-ministre grec.

«Démocratiser l'UE», donc, et «relégitimer la politique» : telles sont les réponses proposées par Yánis Varoufákis. Pour y parvenir, il préconise d'inverser la machine. A commencer par le mode d'action politique. Fini les partis nationaux formant des alliances entre eux et coopérant essentiellement au niveau bruxellois, explique-t-il en substance. Il faut désormais «agir localement» à partir de ce «mouvement sans frontière, qui œuvre en même temps à travers l'Europe». Un parti en perspective ? La réponse à Libération se fait évasive : «Dès que nous aurons abouti à un consensus, je suis sûr qu'il trouvera sa propre expression électorale dans les Etats membres.» «Nous verrons ensuite quelle forme cette représentation doit prendre», ajoute l'économiste iconoclaste, qui avait annoncé sa démission, le 5 juillet, d'un tonitruant gazouillis sur Twitter : «Minister no more !»

La forme «parti» l'aurait-elle échaudé ? «J'aurais rêvé que les mouvements existants puissent faire le boulot, lance-t-il depuis la tribune berlinoise. Mais je ne crois pas qu'un seul parti, même de gauche, en soit capable.» Son mouvement, reposant sur un manifeste, est un «appel à tous les démocrates, qu'ils soient libéraux, sociaux-démocrates, de gauche, radicaux ou écolos, indépendamment de leur appartenance politique, de leur conception de ce qu'est la "société idéale" ou de leur idéologie». Il propose un plan d'action en trois temps : d'abord «rendre transparents» les processus de décision, notamment en «publiant les minutes des réunions européennes». Ensuite, «en l'espace de six mois, redéfinir les compétences des institutions, telles que la BCE, le Mécanisme de stabilité, le Fonds européen d'investissement, afin de mettre un coup d'arrêt à la crise persistante». Enfin, en réunissant une «Assemblée constituante» afin de «discuter d'une Constitution fédérale, et démocratique, pour l'Union» à l'horizon 2025. Sinon ? Le risque est celui d'une «désintégration de l'UE qui susciterait un effondrement ressemblant terriblement à ce qui s'est passé dans les années 30», avec l'arrivée des nazis au pouvoir, pronostique-t-il.

Action. Yánis Varoufákis parviendra-t-il à rassembler une gauche et des démocrates qui se divisent sur le bilan de Syriza, en Grèce comme en Europe ? Lui affirme que DiEm 2025 compte déjà plusieurs milliers de supporteurs à travers l'UE. Pourtant, il dénonce cette «gauche qui fait du retour à l'Etat nation une part de la solution». Dans le viseur ? «Jean-Luc Mélenchon», s'amuse un participant. Arnaud Montebourg, qui devait venir, n'est finalement pas présent. «Il faut croire que l'Europe n'est pas assez porteuse», ironise Julien Bayou, porte-parole d'Europe Ecologie - les Verts. Tout en saluant l'action de Varoufákis : «Personne au monde n'aurait plus de raisons d'être anti-européen. Mais quand il se donne les moyens de démocratiser l'Europe à l'horizon de dix ans, je signe des deux mains.»

A la Volksbühne, les intervenants (sociologues, économistes, intellectuels…) débattent, assis sur des chaises disposées en rond, et ont le droit à un temps de parole de trois minutes. Mais le peuple, lui, n’est pas présent.