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Analyse

Bourses: accalmie temporaire, tempête en vue

Les craintes sur le secteur bancaire européen semblaient s'apaiser ce mercredi. Mais le problème reste entier.
Le siège de la Deutsche Bank, le 9 juin 2015 à Francfort. Le cours de l'action de la banque a été divisé par 2 depuis janvier. (Photo DANIEL ROLAND. AFP)
publié le 10 février 2016 à 18h38

Lundi fut horrible, mardi guère mieux et mercredi, c'est reparti à la hausse. La preuve que ça s'arrange, que la chute des valeurs bancaires n'est qu'une expression de la nervosité des marchés, qui finissent par retrouver la raison. De quoi alimenter un peu plus la petite phrase: «Cette fois, c'est différent.»

Voilà, en substance, la réponse faite à ceux qui voient un krach financier partout. Et c’est un grand classique des avant-crise financières. La dernière fois, cela se passait aux Etats-Unis, en 2005, deux ans avant l’explosion des subprimes. Grâce à une ingénierie financière dont la complexité dépasse le niveau moyen de compréhension de la quasi-totalité des banquiers, les ménages américains les plus modestes (pour ne pas dire insolvables) peuvent alors accéder au rêve de toute une vie: se payer une maison, dont le prix ne cesse de s’apprécier. Ils sont modestes, mais se sentent bientôt riches. La magie des subprimes opère à grande vitesse. Certains s’en inquiètent. Ils craignent que ces crédits transformés en produits financiers saucissonnés (la fameuse titrisation), aussitôt diffusés sur les marchés financiers, ne se transforment en poison le jour où éclatera la bulle immobilière.

Ils ont tort, expliquera un certain Alan Greenspan, alors patron de la Fed, la Réserve fédérale américaine, devant des représentants du Congrès américain qui l’interrogent. Le «sorcier de la finance» sait de quoi il parle. Et ce n’est pas pour rien qu’on l’appelle aussi «Magic Greenspan». Bien sûr, il reconnaît la formation de quelques petites bulles. Mais pas de panique. Elles sont circonscrites à quelques villes des Etats-Unis. On connaît la suite: pour des millions d’Américains, les rêves se transformeront en cauchemar. Et le poison subprime a infesté tous les tuyaux de la finance mondiale.

Bis repetita

Il y a, aujourd'hui, comme un air de bis repetita dans la chute qui affecte les marchés financiers depuis l'été 2015. L'ogre chinois n'a plus d'appétit, ses importations de matières premières piquent du nez, sa croissance dégringole. La plupart des pays émergents font grise mine, assistant impuissants à l'effondrement de leurs exportations. Des centaines de milliards de dollars s'envolent d'une place financière à l'autre à la recherche d'une plus grande sécurité avec, si possible, du rendement à la clé… Et partout, aux Etats-Unis, au Brésil, en Chine, en Russie, en Italie, en Allemagne, en France, au Portugal, en Argentine, au Japon ou en Grèce, c'est le sauve-qui-peut général sur les marchés actions des valeurs bancaires.

En Europe, les principaux groupes bancaires ont perdu 25% de leur valeur depuis le début de l’année. La palme de la chute de la capitalisation boursière revient à la Deutsche Bank, dont le prix de l’action a été divisé par 2 depuis le début de l’année. Résultat? La banque a beau avoir l’équivalent de 200 milliards d’euros en dépôts, elle ne vaut plus (selon les marchés financiers) qu’une petite vingtaine de milliards d’euros.

Malgré cette démultiplication de mauvaises nouvelles tous azimuts, il s'en trouve toujours (et encore) pour expliquer que, cette fois, ce n'est pas la même chose qu'en 2005. Dernier en date se voulant rassurant: François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France. Comme d'autres en Allemagne, en Italie, aux Etats-Unis… Ce mercredi sur BFM Business, il a tenu à dissiper toutes craintes: «Oui, il y a des incertitudes, mais non, nous ne sommes pas en situation de récession et non, la situation de 2016 n'est pas celle de 2008, a-t-il assuré, affirmant que les banques sont beaucoup plus solides qu'en 2008.»

Tourmente

Si les valeurs bancaires sont maltraitées, ce serait simplement à cause d'une exubérance des marchés financiers, toujours prompt à surréagir à la moindre mauvaise nouvelle. Mais cette explication, martelée depuis plusieurs jours par nombre de responsables bancaires, ne semble par apaiser la crainte des marchés financiers. «Rien n'y fait: le secteur bancaire reste au cœur de la tourmente boursière», explique Sylvain Broyer, économiste chez Natixis. Et d'ajouter: «Nous sommes dans une situation totalement paradoxale, où la régulation bancaire voulue et appliquée après la crise des subprimes est peut-être en train de mettre à mal la situation des banques.»

En clair, le passage du bail out au bail in serait l'une des causes de l'effondrement du prix des actions des banques. Dans le bail out, c'est le contribuable qui renfloue via l'impôt les pertes des banques menacées de faillite. Too big to fail, oblige. Dans le bail in, c'est à l'actionnaire de mettre la main à la poche. «Dans le cas de Deutsche Bank, par exemple, on voit des actionnaires vendre leurs actions. Du coup, tout le monde imagine le pire: si eux partent, c'est que les soucis à venir risquent d'être énormes.»

Mais à y regarder de plus près, tous pointent des surinvestissements dans le secteur pétrolier… Financé à crédit par des banques. Au total, l’encours des crédits bancaires européens accordé au secteur pétrolier atteint, selon les dires du gouverneur de la Banque de France, quelque 3 500 milliards d’euros, dont 500 accordés par des établissements hexagonaux.

«C’est du n’importe quoi»

«Ce sont des montants qui correspondent à ceux constatés sur les marchés financiers. Les marchés redoutent que les compagnies financières se retrouvent dans une impossibilité partielle de rembourser leur dette», explique Sylvain Broyer. A l'instar de ce dernier, d'autres soulignent que le secteur des gaz et pétrole de schiste aux Etats-Unis ne représente que 2% du PIB américain. Et la dette totale de ce même secteur ne dépasse pas les 350 milliards de dollars. Sylvain Broyer ajoute: «Appliquez à ce montant le taux de défaut constaté dans le passé, multipliez ce taux par deux et vous atteignez 20%. Dans cette hypothèse pessimiste de défaut du secteur pétrolier aux Etats-Unis, le risque ne dépasse pas les 70 milliards de dollars. Trois fois rien. Or, on voit des banques dont la capitalisation s'effondre et tout ça pour 70 milliards. C'est du n'importe quoi. D'autant plus que l'addition du bilan des banques américaines équivaut à 10 000 milliards de dollars, autant que le PIB des Etats-Unis. Preuve que nous sommes bien dans une surréaction irrationnelle des marchés.»

Un avis que ne partage pas François Morin, professeur d'économie à Toulouse 1 et auteur de l'Hydre mondiale (PUF). Selon lui, le secteur bancaire doit être observé comme le début de l'explosion d'une bulle financière. Et chercher l'origine de la cause, c'est trouver les politiques monétaires des banques centrales: «Un peu partout dans le monde, la création monétaire réalisée par les Banques centrales ne s'est pas transformée en relance de croissance et reprise de l'inflation. L'argent qui coule à flots a alimenté des bulles sur les marchés des actions et des obligations. L'argent est allé de banque en banque, elles ont investi sur les marchés financiers. Si ces derniers se retournent subitement, ce sera la panique générale.» Mais puisqu'on vous dit que tout va bien…