En Syrie se joue aussi le destin de l’Europe. Certes, les Vingt-Huit n’ont qu’un rôle marginal dans le conflit malgré l’engagement aérien de plusieurs pays, dont la France, contre l’Etat islamique (EI). Mais l’impuissance européenne, et plus encore les ambiguïtés d’une administration Obama réticente à s’engager plus avant à huit mois de la présidentielle, ont créé un vide occupé par Moscou. A Munich, lieu tristement symbolique s’il en est, les Russes et les Américains, avec le soutien de l’ONU, ont décidé à la fin de la semaine dernière d’une trêve destinée à entrer en vigueur sept jours plus tard. Moscou espère que, d’ici là, ses bombardements massifs auront permis aux forces du régime, aidées par les Iraniens et le Hezbollah, de boucler le siège d’Alep, ville symbole de la rébellion. Le Kremlin ne cache pas que son objectif principal est l’opposition légitime, théoriquement soutenue par les Occidentaux. Il veut que le choix se réduise à Bachar al-Assad ou à l’EI afin de maintenir au pouvoir le «boucher de Damas».
L’anéantissement de la rébellion aura des conséquences graves et directes pour l’Union européenne. Les dizaines de milliers de civils syriens entassés à la frontière turque fuient avant tout les soudards du régime et les bombes russes. La chute d’Alep renforcerait encore cet exode. Quels que soient les efforts déployés par l’UE, elle ne pourra bloquer ce nouveau flot migratoire. Elle incarne le bien-être et la paix aux yeux de réfugiés d’autant plus tentés de fuir la Turquie que les métastases du conflit s’étendent à ce pays, nourries par l’aventurisme de son président Recep Tayyip Erdogan qui a relancé la guerre avec les Kurdes. Le lâchage par les Occidentaux de l’opposition démocratique et des groupes engagés sur le terrain, aussi bien contre le régime que contre l’EI, créera un ressentiment qui renforcera les jihadistes.
Mais c’est surtout la crédibilité même de l’Europe, et plus encore des Etats-Unis, qui est en jeu. A l’été 2013, malgré ses engagements, Barack Obama avait renoncé à lancer les frappes contre le régime d’Al-Assad qui avait employé l’arme chimique contre sa propre population. Il avait alors saisi l’offre de la Russie d’un démantèlement négocié de l’arsenal chimique syrien. Cette dérobade a remis Al-Assad en selle et surtout convaincu Vladimir Poutine de la faiblesse de son alter ego américain. Depuis, il n’a fait que pousser ses pions, en Ukraine comme au Moyen-Orient. Les sanctions et la baisse du prix du pétrole ont affaibli l’économie russe mais pas ses ambitions. L’appétit lui est venu en mangeant. L’Europe risque de se trouver bien démunie alors que Washington regarde de plus en plus vers l’Asie.