L'homme qui lisait Stendhal dans le texte et qui avait occupé le poste de secrétaire général de l'ONU, de 1992 à 1996, est mort mardi dans un hôpital du Caire à l'âge de 93 ans. Boutros Boutros-Ghali [Boutros signifie Pierre en arabe, ndlr] est un copte élevé dans une famille de la grande bourgeoisie cairote lettrée.
Retracer la vie du brillant intellectuel francophone et francophile, c’est se plonger dans son lignage exceptionnel car marqué par un destin sanglant. Premier ministre, son grand-père (Boutros Pacha) ouvrit l’Egypte à l’Occident mais finit sous les balles d’un nationaliste en 1919.
Lors de sa dernière interview donnée au journaliste Karim el-Fawal, dans le cadre d’un documentaire sur Anouar el-Sadate, Boutros Boutros-Ghali évoquait ses quatorze années au service de la diplomatie du président égyptien et son rôle majeur dans les négociations et la conclusion des accords de Camp David (1978).
Son mandat à la tête de l’Organisation des Nations unies sera, lui, marqué par les reculades de l’institution internationale devant les tragédies en ex-Yougoslavie et au Rwanda. De sorte que les Etats-Unis et les pays anglo-saxons feront rapidement de cet homme, jugé trop proche de la France, leur bouc émissaire, s’opposant dès 1996 à sa réélection.
De son propre bilan à la tête de l'ONU, ce professeur de relations internationales disait en 2001 : «Je me sens humilié avec ce qui s'est passé au Rwanda. J'ai été l'un des premiers à parler de génocide mais je n'ai pas réussi à ébranler l'opinion publique. Les Etats sont restés insensibles à mes appels.» Remords ? Expiation volontaire ? Lors de sa dernière interview, des larmes coulaient. «Des larmes de vieillesse surtout», précise à Libération Karim el-Fawal, se souvenant d'un homme qui luttait pied à pied pour justifier son action à la tête de l'ONU. Celui qui fut aussi secrétaire général de la Francophonie (1997-2002) vivait près de Guizeh, à côté de l'ambassade de France, entouré de ses livres. Reste que l'œuvre du «Kissinger égyptien» restera à jamais entachée par la paralysie d'une institution qu'il entendait pourtant réformer et qui a failli dans les Balkans et au Rwanda.