«Nous ne savons rien». «Il est impossible de prévoir». «Demandez-moi dans une heure». Les couloirs de la Verkhovna Rada (Parlement ukrainien) étaient remplis d'indécis, ce mardi. Allait-on procéder à un vote de défiance contre le Premier ministre Arseniy Iatseniouk ? Il y a finalement échappé en fin d'après-midi. Mais le flou ambiant trahissait la débandade d'une coalition parlementaire élue pour conduire des réformes structurelles après la «révolution de la dignité». Deux ans plus tard, les voici en train de se dévorer entre eux.
Le sort d'Arseniy Iatseniouk est pourtant fixé depuis des mois. Il est accusé d'encourager des affaires de corruption tous azimuts et de bloquer les efforts de réformes engagés depuis la révolution. «Il doit partir», tance Serhiy Lechtchenko. Ancien journaliste d'investigation, ce jeune député du parti de Petro Porochenko, la majorité présidentielle, a été le fer de lance du mouvement d'opposition à Arseniy Iatseniouk. D'abord en s'attaquant à ses proches collaborateurs. Puis en recueillant des signatures de députés pour initier un vote de défiance, finalement écarté, à l'occasion du premier discours-bilan d'Arseniy Iatseniouk: la motion n'a obtenu le vote que de 194 députés sur 226 requis.
Utilisation sélective de la justice
Malgré cela, pour Serhiy Lechtchenko, «ce gouvernement est à bout de souffle, les ministres les plus réformateurs ont déjà démissionné. Il faut absolument que l'on en finisse.» Un discours noyé dans la cacophonie des sempiternelles querelles politiciennes ukrainiennes. Jusqu'à l'annonce surprise, vers 15h30, de Petro Porochenko appelant Arseniy Iatseniouk à démissionner. Dans une allocution télévisée, le chef de l'Etat a aussi exigé la démission du procureur général Viktor Chokine, lui-même directement soupçonné de corruption et d'une utilisation sélective de la justice.
Le magistrat a immédiatement obtempéré, «comme une manière de laver le Président de toute critique aux yeux de la société et des donateurs internationaux», estime Serhiy Kiral, un député du parti Samopomitch, qui y voit une simple manoeuvre politicienne.
Inquiétudes occidentales
Américains et Européens, de pair avec le FMI, qui sont des soutiens financiers essentiels de l'Ukraine, à hauteur de 40 milliards de dollars sur quatre ans, réclamaient le départ du procureur général afin de permettre une réforme de la justice. «Les Occidentaux sont préoccupés par la stabilité de l'exécutif. Ils y conditionnent leurs programmes d'aide, et, dans une certaine mesure, leur soutien à l'Ukraine contre la Russie», déplore un diplomate européen en poste à Kiev depuis de nombreuses années. «Mais il faut comprendre que le pays est dans un processus de développement dynamique. Il serait dommage de le brider.»
Ce «développement dynamique» semble prévaloir sur les inquiétudes occidentales. Le départ d'Arseniy Iatseniouk et la chute consécutive du gouvernement ouvrent néanmoins une nouvelle période d'incertitude, pouvant aller jusqu'à l'organisation d'élections anticipées. Une perspective qui en inquiète plus d'un, compte tenu de l'état économique désastreux du pays.