En moyenne, depuis septembre, deux enfants migrants meurent chaque jour dans l'est de la Méditerranée – en mer Egée – en tentant de rejoindre l'Europe. Rien n'a donc changé depuis que le monde s'est ému du sort du petit Aylan Kurdi, retrouvé noyé sur une plage turque début septembre. Ces chiffres, donnés ce vendredi par l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), le Haut Commissariat aux réfugiés et l'Unicef, confirment ce que Libération avait déjà dénoncé le 5 novembre en titrant «Chaque jour, deux Aylan». Depuis Aylan, 340 enfants sont morts selon le comptage de ces agences, mais ils pourraient être plus nombreux, des corps disparus en mer échappant au décompte macabre.
On estime que 36% des migrants en mer Egée sont des enfants, un pourcentage en hausse qui risque d'accroître le nombre de décès. «C'est une catastrophe humanitaire en cours, dénonce le directeur général de l'OIM, William Lacy Swing. Il ne suffit pas de compter les vies. Il faut agir. Ce problème ne concerne pas seulement la Méditerranée ou l'Europe. Il faut un engagement mondial.» Swing compare la situation en mer Egée au tremblement de terre en Haïti en 2010 ou au tsunami asiatique de 2004 : «Ces désastres ont provoqué un sursaut d'aide humanitaire. Il faut faire de même.»
Nette restriction
Pour le haut commissaire aux réfugiés de l'ONU Filippo Grandi, la seule manière de réduire le taux de mortalité consiste à créer des voies légales pour les réfugiés. «Ce devrait être une priorité absolue», assure-t-il. Mais on en est très loin. L'Europe n'a pas pris la mesure de la catastrophe. A part l'Allemagne, elle refuse de voir son aspect humanitaire et préfère multiplier les obstacles. Ainsi, l'Autriche a inauguré vendredi un système de quota journalier de demandeurs d'asile sur son territoire : elle n'en admet plus que 80 par jour, une nette restriction alors qu'elle reçoit depuis le début de l'année 250 demandes quotidiennes.
Cette décision a été critiquée par le ministère de l'Intérieur allemand, qui s'interroge sur sa légalité. Tout comme la Commission européenne, pour qui elle est «clairement incompatible» avec le droit européen et international, selon le commissaire chargé de la migration, Dimitris Avramópoulos.
Mais pendant ce temps, les Européens sont toujours incapables de se mettre d'accord sur une gestion commune. Ils en ont parlé lors du sommet jeudi et vendredi à Bruxelles. Mais le Premier ministre turc ayant annulé sa venue en raison de l'attentat à Ankara mercredi, les discussions n'ont pu avancer sur la coopération attendue entre l'UE et la Turquie pour essayer de juguler les flux migratoires. Une nouvelle réunion entre l'UE et la Turquie est programmée début mars.
Appel de célébrités
En attendant, les 28 chefs d'Etat et de gouvernement restent les bras ballants tout en constatant que la crise s'aggrave : «Les flux de migrants arrivant en Grèce depuis la Turquie restent bien trop élevés», soulignent-ils dans les conclusions du sommet. Plus de 84 000 personnes sont arrivées par la mer depuis le 1er janvier, selon l'OIM, en nette augmentation par rapport à 2015.
L'Otan pourrait patrouiller en mer Egée dans les semaines à venir, mais on ne sait pas si cela changera grand-chose. Sur le front humanitaire, il faut s'en remettre à des initiatives d'ONG, comme l'opération SOS Méditerranée, qui lance un bateau de secours depuis Marseille ce samedi. Et outre-Manche, des acteurs et célébrités dont Jude Law, Helena Bonham Carter, Benedict Cumberbatch et Kristin Scott Thomas demandent que le Premier ministre, David Cameron, autorise les mineurs non accompagnés de la Jungle de Calais à rejoindre leur famille au Royaume-Uni.