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Libération
Amérique du Sud

En Bolivie, ça ne rigole plus pour Evo Morales

En campagne pour obtenir un quatrième mandat, le président est confronté à un scandale sexuel et à une vague de violence politique.
Le 5 février, le président Evo Morales (avec les lunettes) participe au carnaval d'Oruro en compagnie de son hôte, l'acteur américain Edward Norton. (Photo Aizar Raldes/AFP)
publié le 19 février 2016 à 17h59

Le référendum auquel plus de 6 millions de Boliviens sont convoqués dimanche leur rappellera des souvenirs : en 2009, Evo Morales leur avait fait un coup comparable. Après deux mandats de cinq ans à la tête de l’Etat, le président de gauche avait fait adopter une nouvelle Constitution lui permettant de rempiler pour cinq ans supplémentaires. Le 21 février, c’est une autre rallonge que Morales demande à ses compatriotes. Avec l’ambition de passer deux décennies dans le fauteuil suprême. Son parti, le MAS (Mouvement vers le socialisme), jure que le président n’ira pas au-delà, démentant la dérive monarchique vers un mandat à vie que lui reprochent ses détracteurs.

«Je suis l'esclave du peuple, c'est lui décide», aime à dire le premier président dans l'histoire de la Bolivie à revendiquer ses origines indigènes. Mais le scrutin de ce week-end sera sans doute le plus difficile de sa vie politique. Au début du mois, les sondages donnaient une légère avance au oui à l'amendement. Tout a été remis en question lorsqu'une chaîne de télévision a révélé que Morales a eu un enfant d'une liaison adultère. Après avoir nié et dénoncé un complot impérialiste, le Président a reconnu, le 12 février, l'ensemble des informations : il a connu Gabriela Zapata, militante du MAS, en 2005, quand elle avait 17 ans, leur enfant, né en 2007, est mort peu après et le couple s'est séparé la même année.

Deniers publics

La nouvelle en soi n'a rien de stupéfiant : Morales, 56 ans, est officiellement célibataire, père de deux enfants reconnus, et le recensement de ses nombreuses amantes, qu'un biographe a baptisé les Evas, tient du sport national. Ce n'est pas cette vie sentimentale tumultueuse qui choque l'opinion et les médias, mais ce qui est venu après. Gabriela Zapata, diplômée en droit, est aujourd'hui directrice commerciale de China CAMC Engineering Co., une corporation dont 60% du capital est aux mains de l'Etat chinois. Or, CAMC a bénéficié ces dernières années de commandes de l'Etat bolivien à hauteur de 500 millions de dollars (450 millions d'euros). Difficile de ne pas établir un lien entre vie privée et utilisation des deniers publics, même si aucune action en justice n'est encore ouverte.

Le «Gabrielagate» s’est rapidement traduit par une chute du oui dans les enquêtes d’opinion. Et un drame a encore amoindri les chances du Président. Mercredi, un rassemblement de parents d’élèves a dégénéré à El Alto, 900 000 habitants, une cité-dortoir aux portes de La Paz, la ville où siège le gouvernement. Des manifestants sont entrés dans l’hôtel de ville, qu’ils ont saccagé et incendié, et 6 employés pris au piège dans les étages sont morts asphyxiés. Les émeutiers, d’après plusieurs témoins, n’avaient rien à voir avec le monde de l’enseignement. Proches du maire précédent, un élu du MAS emprisonné depuis 2014 pour corruption, ils auraient pris pour cible le service comptabilité dans le but de faire disparaître dossiers et ordinateurs potentiellement compromettants dans les procédures en cours. Mission accomplie.

Glamour et carnaval

Le coup est rude pour Evo Morales, dont El Alto a été un réservoir de voix à chaque réélection. C’est dans cette ville nouvelle qu’a éclaté en 2003 la «guerre du gaz» : ce mouvement citoyen avait servi d’étincelle à une vaste mobilisation qui avait poussé le président Sanchez de Lozada à la démission. Et ouvert la porte à l’élection d’Evo Morales en 2005.

Evo Morales avait misé sur le glamour et les people comme arguments de campagne. Dans sa région d’origine, à Oruro, il avait invité pour le carnaval l’acteur de Hollywood Edward Norton. Et pour inaugurer un stade à Cochabamba, son hôte très spécial était le footballeur colombien Carlos Valderrama, dont la célèbre crinière dorée fit les beaux jours du Montpellier Hérault dans les années 80. Morales lui-même s’est jugé suffisamment bon joueur pour signer, en 2014, à 54 ans, un contrat professionnel avec une équipe de première division, le Sport Boys Warnes. Autant d’éléments indiquant que l’homme d’Etat, éloigné des réalités de son pays, s’est enfermé dans un exercice solitaire du pouvoir. Si le non l’emporte dimanche, Morales passera la main en janvier 2020, après quinze ans de mandat qui auront profondément changé le visage de la Bolivie. Si le oui triomphe, il pourra se représenter en 2019 et régner jusqu’en 2025.