Est-ce un premier pas vers une «Europe à la carte» ? L'accord avec Londres passé samedi à l'aube après trente heures de négociations marque en tout cas un tournant. «J'ai négocié un accord pour donner au Royaume-Uni un statut spécial dans l'Union européenne», plastronnait le Premier ministre britannique, David Cameron, clamant que jamais son pays ne ferait partie d'un «Super-Etat» ni de la zone euro… Ce statut sur mesure négocié à l'arraché par Londres avec ses 27 partenaires est censé permettre au leader des tories de convaincre ses citoyens de voter en faveur du maintien de leur pays dans l'Union. Les résultats sont pour le moins mitigés, comme en témoignent les réactions de la presse et l'entrée en lice du maire de Londres, Boris Johnson, dans la bataille en faveur du Brexit (lire ci-contre). En outre, cet accord, négocié en marge des traités européens, pose nombre de questions.
«Self-service». «Il n'y a pas eu de victoire des uns contre les autres», a affirmé François Hollande à l'issue des laborieuses négociations, soulignant que «s'il peut y avoir une Europe différenciée, il ne faut pas donner le sentiment que l'Europe est un self-service». C'est aussi ce sur quoi insistait le lendemain le nouveau ministre des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, affirmant au Journal du dimanche : «Il n'y aura pas de révision des traités, pas de veto du Royaume-Uni sur la zone euro, pas de remise en cause du principe de libre circulation.» Mais ce laborieux compromis semble en réalité bien ambigu.
Certaines des prestations sociales pour les migrants est-européens pourront être supprimées pendant les quatre premières années, et même pour sept ans dans certains cas, comme le souhaite Londres. David Cameron a aussi obtenu que ses partenaires reconnaissent que «tous les Etats membres n'ont pas l'euro comme monnaie». A première vue, il s'agit d'un truisme, puisque seuls 19 des 28 pays participent de la zone euro, mais cette phrase n'est pas anodine. C'est parce cette monnaie unique a théoriquement vocation à être celle de toute l'Union que les Britanniques participent à part entière aux décisions de la zone euro. Désormais, si un seul pays non membre de l'union monétaire estime qu'une décision de celle-ci va contre ses intérêts, il pourra obtenir un débat, mais il ne s'agit pas d'un droit de veto. L'objectif de Londres est de protéger la livre et les intérêts de la City. Autre symbole : David Cameron a arraché que la clause du traité de Rome prévoyant «une Union sans cesse plus étroite» ne s'applique pas au Royaume-Uni, et les Parlements nationaux auront un pouvoir de contrôle renforcé sur les décisions européennes.
«Pyrrhus». Insuffisantes pour convaincre les eurosceptiques britanniques, ces décisions, à cause de leur caractère flou, créent un dangereux précédent. «Le Royaume-Uni a transformé le droit de quitter l'UE, inscrit dans les traités, en un droit d'obtenir un traitement de faveur en menaçant de s'en aller», note l'eurodéputée Sylvie Goulard dans une tribune aux Echos. Avec le risque de voir nombre de gouvernements europhobes et de partis populistes s'engouffrer dans la brèche. La délégation socialiste au Parlement européen notait : «Pour l'Union, c'est une victoire à la Pyrrhus, tant le détricotage de l'Europe est possible à coup de chantages au référendum.»