L'annonce dégage un parfum un peu rétro évoquant le monde bipolaire d'avan 1989. Russes et Américains ont appelé, lundi soir dans un communiqué commun, à un arrêt des hostilités en Syrie à partir de samedi minuit. Barack Obama et Vladimir Poutine se sont ensuite entretenus au téléphone pour peaufiner les détails de ce cessez-le-feu excluant l'organisation Etat islamique (EI) et les groupes liés à Al-Qaeda. Si l'ONU se félicite de ce premier pas vers une possible reprise de négociations de paix, le scepticisme règne. Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, a souligné «l'urgence» pour toutes les parties à mettre en œuvre «de bonne foi» cette trêve. Une manière élégante de relever, comme Londres, l'ambiguïté du jeu russe.
On peut en effet s'interroger sur la réelle volonté de Moscou de tenir ses engagements même si Poutine assure que son pays fera le nécessaire pour que les «autorités syriennes légitimes» respectent la trêve. Mais alors même que reprenaient début février à Genève les négociations sur la Syrie, la Russie avait lancé une campagne de bombardements massifs sur l'opposition anti-Bachar al-Assad pour appuyer les forces du régime sur Alep, la grande ville du nord. L'arrêt des combats permettra surtout à Damas de digérer ses gains territoriaux, quitte à relancer dans quelques jours ou quelques semaines les offensives avec l'aide de ses alliés russes et iraniens. De son côté, Washington risque aussi d'avoir du mal à imposer le cessez-le-feu aux groupes de l'opposition qui se battent sur le terrain contre le régime et contre l'EI, ainsi qu'à leurs parrains saoudien et turc. La coalition de l'opposition en accepte le «principe», mais en conditionnant son accord à la mise en œuvre des mesures humanitaires promises et à l'arrêt des frappes russes contre leurs combattants et les populations civiles.
Les Etats-Unis et la Russie ne font pas la même guerre en Syrie contre l'Etat islamique. Washington veut à tout prix éviter de se réengager au Moyen-Orient et en particulier au sol. Moscou considère comme «terroristes» tous les groupes s'opposant au régime et surtout veut remettre en selle Al-Assad, en y mettant tous les moyens militaires nécessaires, y compris des conseillers au sol. La Russie veut retrouver son rang de grande puissance. Après avoir reçu fin décembre le président syrien, Poutine a lancé ce processus dit de Vienne auquel les Américains se sont associés dans l'espoir de trouver une issue au conflit. Cela a permis le vote, fin décembre, d'une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU – la première sur la Syrie – évoquant une transition politique avec à terme des élections sous contrôle international, tout en laissant dans le flou le sort final d'Al-Assad. Ce dernier a annoncé des législatives le 13 avril. Une farce. Il est même convaincu de pouvoir gagner la guerre au point que l'ambassadeur russe à l'ONU, Vitali Tchourkine, a tenu a le rappeler aux réalités dans une interview au quotidien Kommersant.
Le PIB de la Russie est équivalent à celui de l'Espagne, et son économie est affaiblie par les sanctions sur l'Ukraine comme par la baisse du prix de pétrole. Cela ne lui permet pas une guerre très longue. D'où l'espoir américain d'un compromis. Mais les renoncements successifs dans le dossier syrien de l'administration Obama suscitent néanmoins des critiques croissantes outre-Atlantique. L'ex-candidat républicain à la présidentielle John McCain clame en parlant de Poutine que «[son] appétit vient en mangeant».