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Libération
édito

EDF-Thales : Eros et Thanatos des temps modernes

Publié le 24/02/2016 à 20h11

Il y a un patron qui doit se mordre les doigts d’avoir accepté de troquer l’entreprise de taille moyenne qu’il dirigeait pour la très grosse que lui proposait l’Etat, c’est Jean-Bernard Lévy. En octobre 2014, alors qu’il dirigeait depuis moins de deux ans le spécialiste de l’électronique de défense Thales, ce polytechnicien passé par les télécoms cédait aux demandes pressantes de François Hollande qui lui offrait la direction d’EDF sur un plateau. Il avait eu quelques heures pour se décider, la proposition le cueillant dans l’avion qui le menait de Singapour à Dubaï, où il s’apprêtait à regonfler à bloc les quelque 200 cadres de la direction Afrique-Moyen-Orient de Thales. A l’époque, il n’avait pas hésité à quitter l’armement et la guerre pour l’énergie, source de vie. L’offre était séduisante. Areva ne s’était pas encore effondré dans les bras d’EDF avec son lourd passif en bandoulière, et surtout le groupe d’électricité continuait à faire bonne figure, alors qu’il était déjà au bord du point de rupture, incapable d’investir dans la modernisation et le renouvellement de son parc nucléaire.

Mauvaise pioche. Quelques jours après avoir publiquement supplié l’Etat - son actionnaire principal - de venir au secours d’EDF, Jean-Bernard Lévy a dû lorgner cette semaine avec envie les résultats de Thales (détenu à 27 % par l’Etat et 26 % par Dassault) qui bat tous ses records de commandes avec 18 milliards d’euros de contrats engrangés en 2015, soit une hausse de 31 % par rapport à 2014 ! On ne va pas plaindre Jean-Bernard Lévy, car personne ne l’a obligé à prendre la tête d’EDF (que certains avaient refusé avant lui) et, malgré tout, le défi qui l’attend est d’autant plus intéressant qu’il est difficile. Mais ce que la situation de ces deux entreprises dit du monde dans lequel on vit est particulièrement flippant.

Si EDF est dans la panade, c’est parce que le secteur de l’énergie est plombé par les surcapacités, la chute des prix du brut, la fragilisation du nucléaire, la fin des monopoles, etc. Si Thales explose de santé, c’est certes parce que sa réorganisation (engagée en partie sous Lévy) a porté ses fruits, mais surtout parce que les achats d’armement sont en hausse, et tout indique qu’ils ne risquent malheureusement pas de s’effondrer. Une sorte d’Eros et Thanatos des temps modernes. Pour l’heure, c’est Thanatos qui a la main.