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Libération
Le succès Trump

Thomas Snégaroff : «Les Américains ont besoin de shots de testostérone»

L'historien explique comment Donald Trump, vainqueur du caucus dans le Nevada mardi, offre la réponse musclée qu'attendent les électeurs inquiets d'un déclin des Etats-Unis.
Donald Trump, mardi à Las Vegas. (Photo Ethan Miller. AFP)
publié le 24 février 2016 à 18h10

Donald Trump a remporté mardi le caucus du Nevada, s'installant un peu plus dans une dynamique favorable pour décrocher l'investiture républicaine à l'élection présidentielle américaine de novembre prochain. C'est sa troisième victoire en quatre primaires, et il a écrasé ses adversaires, obtenant 45,9 % des suffrages contre 23,9% à Marco Rubio et 21,4% à Ted Cruz. Thomas Snégaroff, historien, spécialiste des Etats-Unis et auteur notamment de l'Amérique dans la peau. Quand le président fait corps avec la nation (Armand Colin, 2012), décrypte les raisons de son succès.

 Pourquoi Donald Trump plaît-il à la classe moyenne ?

Il y a plusieurs facteurs. D'abord, historiquement, ce n'est pas un cas unique. Les Américains ont besoin à intervalles assez réguliers de shots de testostérone. Et pas que dans le camp des républicains. John Kennedy en son temps a représenté cette virilité dont le pays avait besoin. On dit qu'il y a de la colère autour de Trump. Mais c'est plutôt de l'inquiétude sur le destin des Etats-Unis. Il n'y a pas que la classe moyenne qui la ressent. Mais comme elle est la matrice du rêve américain, elle est la première déboussolée par la mise en cause apparente de ce rêve. Cela fonctionne ainsi depuis le début du XXsiècle, avec des personnages qui puisent dans un retour un peu mythifié à cette notion des hommes fondateurs qui ont construit la nation par le courage. Et qui, par un discours simple, voire simpliste, proposent une solution musclée à une nation qui doute.

Ainsi, au début du XXe, quand la frontière a été conquise, que les hommes se sont mis à vivre dans les villes, que l'esprit cow-boy a commencé à disparaître, Théodore Roosevelt [président de 1901 à 1909, ndlr] est arrivé avec une rhétorique proche de celle de Trump quand il veut «botter les fesses de l'Etat islamique» ou «mettre un poing dans la figure» d'un spectateur qui proteste. Roosevelt aussi était prêt à monter sur le ring face à ses adversaires politiques. Il rejetait les étrangers, à l'époque c'étaient les Européens d'origine méditerranéenne qui allaient affaiblir la race. Dans le style, il y a eu Reagan aussi, un acteur qui voulait incarner le retour d'une Amérique virile et triomphale. Cette fois, c'est Trump, une star de télé-réalité. On perd un peu à chaque fois. Roosevelt était un grand penseur, lui. Mais aujourd'hui, pour cette Amérique qui croit perdre en virilité, Trump offre une revitalisation de l'époque mythifiée de l'homme blanc pionnier.

Avec la fin du mandat d'Obama, on est sur une théorie comme no boots on the ground [en français «plus de troupes américaines pour combattre au sol à l'étranger», ndlr], avec une guerre faite par des drones, et une pratique we lead from behind [«on dirige depuis l'arrière», sous-entendu avec d'autres nations qui font le sale boulot]. L'Amérique est en train de s'assoupir, Trump arrive et la réveille. Quand les Américains se rendent compte que leur rêve n'est qu'un rêve, ils ont besoin de quelqu'un «qui en a».

Il y a aussi une interrogation sur l’identité…

Oui : «Qui sommes-nous ?» écrivait Samuel Huntington il y a quelques années. Sommes-nous à la hauteur des pères fondateurs ? Au début, c'était des inquiétudes sur l'identité Wasp. Aujourd'hui, c'est sur l'identité caucasienne. Trump reprend cette angoisse profonde. Trump se fait nativiste. Après s'en être pris aux origines d'Obama, voilà qu'il en fait de même avec Cruz.

Est-ce une peur des Blancs de devenir une minorité ?

Oui, il y a cette idée que l’homme blanc est en train de disparaître. Aujourd’hui, plus de la moitié des enfants qui naissent aux Etats-Unis ne sont pas d’origine caucasienne. Trump répond à cette interrogation par l’excès.

Quel sera l’effet sur le vote final ?

Tous les quatre ans, celui qui gagne les élections est celui qui saisit l'esprit du rêve américain à ce moment. Celui qui tend aux Américains un miroir flatteur, tourné vers l'avenir mais aussi le passé. «Make America great again» [le slogan de Trump], regarde dans le rétroviseur, un rétroviseur fantasmé et plein de nostalgie. Il y a huit ans, avec Obama, c'était le vivre ensemble. Aujourd'hui, c'est la force physique, le rejet de l'autre. C'est la grande histoire des corps virils qui offrent une réponse musclée face à la peur du déclin.