Rarement autant de pagaille dans un dépouillement présidentiel aura été vue. C'est en substance les propos d'une source diplomatique jointe par Libération. En l'espace de quarante-huit heures, les partisans du président sortant Mahamadou Issoufou, qui brigue un second mandat, sont passés d'une «victoire éclatante» annoncée à un second tour. Selon les résultats officiels publiés vendredi par la Commission électorale nationale indépendante (Céni), Issoufou vire en tête avec 48,41 % des voix. Il retrouvera au second tour prévu fin mars Hama Amadou, qui a obtenu 17,41%, alors qu'un autre ancien Premier ministre, Seïni Oumarou, est arrivé troisième (12,11%). Issoufou, qui avait été crédité de plus de 50 % des suffrages, voire de 53 %, lors de certains dépouillements partiels, voit donc son score chuter sous la barre des 50 %.
«Le coup KO»
Le Président s'était pourtant promis de passer dès le premier tour, qui s'est déroulé les 21 et 22 février, en s'appuyant sur la puissance de son parti, le PNDS (Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme), mais aussi sur d'immenses moyens financiers. Pour cela, il n'avait eu de cesse de marteler une expression empruntée à la dernière campagne présidentielle burkinabé : «Le coup KO», qui devait ainsi symboliser ce premier tour, laissant l'opposition groggie. «C'était le scénario le pire, car il aurait humilié l'opposition», souligne Elisabeth Shérif, universitaire nigérienne et ancienne professeure de Sciences politiques à Niamey. Mais ce «coup KO», avec des accusations de bourrage d'urnes, était tellement cousu de fil blanc que tout cela prenait un tour «tellement risible», selon un observateur français joint dans la région de Niamey.
«Résultats grotesques»
«Le problème qui se pose depuis le début du vote, c'est comment faire le tri entre le vrai, le faux et le vraisemblable dans ces chiffres qui tombent, s'interroge Elisabeth Shérif. Par ailleurs, chacun possède aujourd'hui ses propres chiffres. Ce qui signifie qu'il n'y a pas une seule autorité capable de donner un résultat fiable dans le pays», conclut-elle. La Ceni, pour un autre observateur, «a failli sur toute la ligne. Elle va proclamer des résultats qui ne vont satisfaire aucun camp. C'est un désastre institutionnel».
Par ailleurs, la coalition des partis d'opposition (Copa16) a déjà annoncé qu'elle «se réserve le droit de rejeter l'intégralité des résultats grotesques tels que fabriqués et diffusés par la Céni». Le leader de la Copa16, Amadou Boubacar Cissé, dit, ABC, joint par Libération, évoque «une élection tellement truquée que cela en devient farce». Des recours ? «Qui prendront des mois et que personne n'examinera.»
«De la prison à la présidence»
Quels sont les enseignements de ce premier tour ? Le PNDS, le parti d’Issoufou, écrase le paysage politique. Il a mis pour un bon moment sur la touche le MNSD (Mouvement national pour la société de développement), l’ancien parti-Etat. Le parti Moden-Lumana, de Hama Amadou, opposant emprisonné pour une affaire contestée de trafic d'enfants, mais qui a fait campagne par militants interposés, devient la première force d’opposition et trouve un ancrage puissant dans l’ouest du pays, y compris à Niamey, qui est désormais sa place forte. De sorte qu’Issoufou, sauf à déménager la présidence dans son fief de Tahoua, et naturellement s’il l’emporte au second tour, va vivre les cinq prochaines années dans une capitale qui lui sera hostile.
Désormais tous les partis d'opposition vont faire bloc derrière la candidature d'Hama Amadou qui, de sa prison, lançait ce slogan avant le premier tour : «De la prison à la présidence». Il faudra pour cela que la Ceni se ressaisisse notamment quand… «110 % des inscrits votent pour Mahamadou Issoufou», comme cela a été rapporté par des observateurs de l'opposition dans certains bureaux de la région de Tahoua, fief du président sortant.