Ils ont été 10 000, 20 000 et parfois 120 000 à battre le pavé de Moscou de décembre 2011 à mai 2012 pour dénoncer la fraude électorale, aux législatives et à la présidentielle, qui a conforté le pouvoir de Vladimir Poutine. A la tête de cette opposition, se trouvaient des figures plus ou moins connues : les anciens ministres libéraux Boris Nemtsov et Mikhaïl Kassianov, ou des députés (ou ex-députés) comme Vladimir Rijkov, l’ancien champion du monde d’échecs Gary Kasparov, le blogueur vedette de la lutte anticorruption Alexeï Navalny, le chef de file de l’ultragauche Sergueï Oudaltsov, et des jeunes prometteurs comme Ilia Iachine et Maria Gaïdar. Quatre ans plus tard, force est de constater que les rangs de cette opposition se sont clairsemés : Nemtsov a été abattu, Oudaltsov est en prison, Kasparov a quitté le pays, la mort dans l’âme.
Entartage
Les autres résistent tant bien que mal à un harcèlement toujours plus pernicieux et à une stigmatisation qui a remis en vigueur les locutions les plus en vogue de l’époque stalinienne comme «ennemis du peuple», «traîtres», etc. Jeudi, Alexeï Navalny a été entartré. Il a mis sa photo, visage et épaules barbouillés de crème sur son blog. La belle affaire, direz-vous. Pas si anodin. Le 9 février, c’était Mikhaïl Kassianov, l’ex-Premier ministre devenu leader du Parnas, le parti créé par Nemtsov, qui se faisait entarter dans un restaurant moscovite par des individus a priori tchétchènes.
Une semaine plus tôt, le leader tchétchène prorusse, Ramzan Kadyrov, l’homme qui vitupère contre tous les opposants, auquel il promet des procès quand ce ne sont pas des piqûres, avait publié sur Internet une photo de Kassianov vu à travers la lunette d’un fusil. Il était accompagné du journaliste Vladimir Kara-Mourza, vice-président du Parnas, un homme qui a survécu par miracle l’an dernier à ce qu’il croit être une tentative d’empoisonement à la Litvinenko (l’ex-espion tué en 2006 à Londres par du polonium, un crime attribué le mois dernier à Vladimir Poutine par la justice britannique).
Nemtsov avait avant son assassinat fait l'objet d'attaques, comme des jets d'œufs ou d'ammoniaque, rappellent les critiques. «Nous vivons dans un pays où notre peur n'est pas de recevoir une tarte dans la figure, mais des balles dans le dos», s'est exclamé le dernier des députés indépendants à la Douma, Vladimir Goudkov, après l'incident contre Navalny.
Hémorragie
La peur et les menaces en ont déjà fait fuir plus d’un. Kasparov, qui avait pendant des années été la figure de proue de l’opposition, osant sortir dans la rue quand nul ne s’y aventurait, vit désormais en exil à New York. Maria Gaïdar, la fille de l’ancien ministre Egor Gaïdar, a quant à elle rejoint Mikhaïl Saakachvili à Odessa et son projet de réformer l’Ukraine. Les défections s’accumulent ces dernières années. Beaucoup de jeunes Russes, dont des économistes connus, comme Sergueï Gouriev, ou des journalistes primés, comme Pavel Cheremet, ne se retrouvent pas dans la Russie belliciste de Vladimir Poutine, engagée en Ukraine comme en Syrie. Lors du Forum de Saint-Pétersbourg, la vice-Première ministre adjointe, Olga Golodets, a reconnu que 200 000 personnes avaient quitté la Russie en 2015.
Cette hémorragie peut coûter cher à l’opposition, dont l’électorat se trouve surtout dans les couches jeunes des grandes villes. Ceux qui ont eu pour projet de faire la jonction entre l’intelligentsia et les régions, comme Oudaltsov, les chefs de campagne de Navalny dans les provinces, risquent de se trouver dans des pénitenciers, ou y sont déjà. Ils peuvent déjà dire adieu aux législatives de septembre.