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Libération
Décryptage

Syrie : une suspension des hostilités aussi fragile qu’incertaine

La trêve a été mise à mal par quelques frappes aériennes et bombardements dimanche. La reprise des négociations de paix à Genève reste très aléatoire.
publié le 28 février 2016 à 19h31
(mis à jour le 28 février 2016 à 19h31)

La trêve en Syrie commençait à s'effriter dans la journée de dimanche et les principaux protagonistes du conflit s'accusent de violer le cessez-le-feu. Pourtant, le groupe de travail installé à Genève auquel participe l'envoyé spécial de l'ONU, Staffan de Mistura, dresse «un bilan positif» de ce début.

Les combats se sont-ils arrêtés ?

Les incidents et les bombardements ont été très ponctuels samedi. L'aviation russe, selon Moscou, n'a effectué ce jour-là aucune sortie. Sur les réseaux sociaux, les habitants de Damas ou surtout d'Alep ont témoigné de leur désorientation face à cet «assourdissant silence» auquel ils n'étaient plus habitués. «Nous avions l'habitude de nous endormir et de nous réveiller avec le bruit des raids et de l'artillerie», expliquait un boulanger alépin à l'AFP. Mais, dès dimanche matin, les accrocs à la trêve sont devenus plus fréquents. Dimanche à l'aube, la périphérie de la ville de Jisr al-Chogour dans la province d'Idlib, zone contrôlée par l'Armée de la conquête, coalition dominée par les salafistes et opposée à l'Etat islamique (EI), a été bombardée de barils d'explosif par des hélicoptères du régime. Des frappes ont également visé des zones de la Syrie centrale autour de Hama mais aussi des zones périurbaines au nord d'Alep comme Kfar Hamra ou Darat Izza. Les conseils urbains locaux accusent l'aviation russe. Une centaine de groupes de la rébellion anti Al-Assad, aussi bien l'Armée syrienne libre que des forces islamistes et salafistes opposées à l'EI qui ont donné leur accord pour la trêve, étaient jusqu'ici systématiquement visés par les bombardements russes. Ceux-ci n'en continuent pas moins contre le Front al-Nusra, la branche syrienne d'Al-Qaeda qui comme l'EI est exclu de cet accord. Cela pourra être un prétexte commode pour reprendre les frappes sur les zones tenues par la rébellion notamment autour d'Alep.

La trêve peut-elle tenir ?

A la veille de l'entrée en vigueur de la trêve, le secrétaire d'Etat américain, John Kerry, avait haussé le ton, clamant que «ceux qui ne respectent pas l'accord en subiraient les conséquences». Washington s'est tellement décrédibilisé dans le dossier syrien que ses menaces n'impressionnent plus guère. Ni ses protégés sur le terrain. Ni ses principaux alliés régionaux, la Turquie et l'Arabie Saoudite, qui dans ce conflit ont chacun leur propre agenda au-delà de la lutte commune affichée contre l'EI. Ni a fortiori la Russie ou l'Iran. Laissé en première ligne par Barack Obama et critiqué pour son «ingénuité» face à son homologue russe Sergueï Lavrov, le chef de la diplomatie américaine s'est engagé à fond dans ce dossier. Il n'en a pas moins reconnu lui-même devant le Congrès avant l'entrée en vigueur de la trêve «ne pas pouvoir garantir que ça marche». Il a même évoqué en cas d'échec un «plan B» avec un engagement militaire plus marqué des Etats-Unis et de la coalition tout en restant dans le flou. La première des inconnues est l'attitude de Moscou. Les bombardements massifs de l'aviation russe en appui à l'offensive sur Alep des forces du régime aidées par les Iraniens et le Hezbollah libanais avaient torpillé début février une reprise des négociations de Genève.

Le Kremlin jouera-t-il cette fois le jeu ?

A court terme, c’est possible, d’autant que le régime a besoin d’un peu de temps pour digérer ses nouvelles conquêtes territoriales, quitte à reprendre l’offensive dans quelques semaines avec l’aide de ses parrains russes. Mais la Russie, dont l’économie est fragilisée par les sanctions sur l’Ukraine comme par la baisse des cours du pétrole, n’a pas intérêt à s’enliser dans le bourbier syrien et peut être tentée de miser sérieusement sur une issue politique.

Une relance des discussions est-elle possible ?

C’est l’objectif affiché de Moscou comme de Washington, piliers du Groupe international de soutien à la Syrie réunissant 17 pays et trois organisations internationales. Le cessez-le-feu, s’il tient, est un premier pas pour reprendre les discussions au bord du Léman et une date a déjà été fixée, le 7 mars. Leur cadre est défini par la résolution du Conseil de sécurité 2 254 du 18 décembre 2015 - la première sur la Syrie, toutes les précédentes ayant capoté sous la menace de veto russe - qui, tout en laissant le destin final de Bachar al-Assad dans le vague, évoque une transition politique inclusive et pluraliste et des élections. Vladimir Poutine a clairement montré qu’il ne compte pas lâcher Al-Assad, même si Moscou n’hésite pas à le recadrer. Le «bourreau de Damas» a, pour sa part, annoncé des législatives pour le 13 avril, qui, dans un pays ravagé par la guerre et avec plus de 10 millions de réfugiés ou déplacés, ne pourront être qu’une farce. Comme tous les scrutins de ce régime où Bachar al-Assad a remporté près de 90 % des suffrages. D’où le scepticisme général.