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Analyse

De Mexico à Séoul, le salaire minimum progresse sans bouleverser

Si la plupart des pays ont adopté des salaires planchers, le niveau de vie des employés ne grimpe pas toujours.
Lors d'un meeting de Hillary Clinton, le 27 février, en Caroline du Sud. (Photo Randall Hill.Reuters)
publié le 29 février 2016 à 19h31

Socle social minimal incontournable pour les uns, élément de rigidité salariale freinant les créations d’emplois pour les autres, le salaire minimum reste l’un des points du clivage droite-gauche. Mais les positions s’infléchissent. Même la très libérale Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), autrefois prompte à dénoncer les supposés effets pervers d’un salaire minimum sur le niveau de l’emploi, a nettement modéré ses critiques. A en croire les dernières statistiques de l’Organisation internationale du travail (OIT), 90 % de ses 186 Etats membres ont au moins un salaire minimum concernant les travailleurs d’au moins une branche. Le Cambodge, par exemple, en compte un au «bénéfice» des travailleurs de l’industrie exportatrice du textile, quand l’Inde en dénombre 1 500, chaque Etat étant libre de fixer un salaire minimum par branche.

«Bien sûr, dans de nombreux pays en développement ou émergents, l'existence juridique, et donc réelle, d'un salaire minimum dans une ou plusieurs branches de l'économie est loin de résoudre les inégalités. Mais son adoption, ne serait-ce qu'au niveau d'une branche, contribue à faire prendre conscience de son importance dans des pays où la protection sociale est souvent quasi inexistante», estime Patrick Belser, économiste à l'OIT.

Ennemis

Malgré l'existence d'un salaire minimum, rares sont les pays qui ont réussi à faire disparaître les travailleurs pauvres. Pas plus qu'ils n'ont effacé des disparités salariales toujours plus criantes. Ainsi, le Brésil a beau avoir, depuis 1936, un salaire minimum, il reste le champion mondial des inégalités de revenus, avec un secteur informel qui ne connaît pas la crise. «Il faut voir le salaire minimum comme une fenêtre qui s'ouvre sur un nouveau paysage et non pas comme une solution miracle instantanée, expliquent Stijn Broecke et Andrea Garnero, économistes à l'OCDE. La plupart des experts admettent que le salaire minimum est pratiquement sans effet sur le niveau de l'emploi… A condition que son niveau reste raisonnable.»

Raisonnable ? Acceptable ? Que ce soit à l'OIT ou au château de la Muette (le siège de l'OCDE à Paris), un salaire minimum raisonnable équivaudrait en moyenne à 50 % du salaire médian (1). Si la plupart des grandes organisations internationales sont moins dogmatiques qu'autrefois, il reste de nombreux ennemis du salaire minimum. Sous toutes les latitudes, leur motif n'a pas changé : un salaire minimum découragerait l'employeur d'embaucher du personnel peu qualifié, parce que leur productivité serait inférieure à leur rémunération. Les premières victimes ? Les travailleurs peu qualifiés et les jeunes inexpérimentés. Mais la réponse des nouveaux convertis au salaire minimum est toujours la même : «Tout dépend de son niveau. Mais dans les faits, il est extrêmement rare de constater qu'un salaire minimum soit supérieur à la productivité du travail des salariés» , assure Patrick Belser, de l'OIT.

Ce serait même le plus souvent le contraire. Le Mexique, qui s'est engagé tête baissée dans la mondialisation, a un salaire minimum qui équivaut à 39 % du salaire médian. Voilà qui devrait rassurer les tenants du «raisonnable». Mais si raisonnable il y a, c'est surtout en faveur des entreprises : elles évitent ainsi de verser des rémunérations plus élevées. Car pour les salariés mexicains, l'existence d'un salaire plancher réglementé par la loi est loin d'avoir amélioré le sort des plus mal payés : seule une petite frange de la population active mexicaine, celle dont le secteur est «branché» sur le reste du monde (les exportations), connaît une relative augmentation de sa rémunération. Le reste, soit près de 80 % de la population, a un pouvoir d'achat qui continue de faire du surplace.

Aux antipodes du Mexique, on trouve la Corée du Sud : son modèle de développement a su instaurer une ouverture économique graduelle sur fond de redistribution des richesses.

Quel est le point commun entre un travailleur du bas de l'échelle au Mexique et un travailleur payé au minimum légal aux Etats-Unis ? L'un et l'autre perçoivent un salaire minimum qui représente environ 40 % du salaire médian de leur pays. Voilà sans doute pourquoi, selon un sondage du New York Times (mai 2015), 6 Américains sur 10 pensent que le gouvernement Obama devrait faire davantage pour réduire les inégalités entre riches et pauvres, en passant par une hausse du salaire minimum fédéral (lire page3).

Courbe plate

Mais quel est l'effet exact du salaire minimum dans les pays en développement ? «Qu'il soit pauvre, en développement ou émergent, lorsqu'un pays décide d'adopter un salaire minimum, ne serait-ce qu'au niveau d'une branche, ce salaire devient progressivement une référence, expliquent les économistes de l'OCDE.C'est le cas en Argentine, au Brésil, au Mexique… Et dans d'autres pays du Sud-Est asiatique. Le salaire minimum est alors perçu comme un niveau de salaire respectable. C'est loin d'être un idéal, mais ça contribue à divulguer une exigence de hausse des salaires et de nécessité de développer un système de protection sociale dans des pays où les Etats sont structurellement faibles.»

Les partisans d’un Smic estiment qu’il peut bénéficier aux entreprises, qu’il contribue à soutenir la demande des ménages, moteur principal de l’activité d’un pays : un salaire minimum utile contre la crise, la pauvreté et les inégalités.

Qu'en est-il dans les pays industrialisés, et notamment en Europe ? Selon Michel Husson, économiste à l'Institut de recherche économique et sociale, évoquer le salaire minimum n'a de sens qu'en regard de l'évolution du partage de la valeur ajoutée entre salariés et entreprises. «Or, voilà vingt-cinq ans que les gains de productivité ont augmenté, alors que les salaires ont globalement stagné un peu partout en Europe. L'écart en faveur des entreprises et de l'ordre de 5 points », estime Michel Husson.

Pourtant, sur les 34 pays que compte l'OCDE, 26 ont un salaire minimum. Depuis 1990, neuf pays membres de l'OCDE (dont l'Allemagne) en ont adopté un. «Mais cela ne prouve pas grand-chose, poursuit Michel Husson. En fait, la plupart de ces pays font tout pour séparer les salariés non exposés et ceux qui sont exposés à la mondialisation. Ces derniers sont considérés comme des salariés qualifiés, et sont les mieux payés. Les autres sont considérés comme ceux qui plombent la compétitivité globale d'un pays, parce que soi-disant protégés ou non confrontés à la concurrence mondiale. Ceux qui critiquent le salaire minimum nous expliquent alors qu'il faut s'attaquer à ces derniers, en baissant leur salaire. C'est la politique qu'a adoptée l'Allemagne, en organisant un décrochage entre salariés protégés et non protégés. Et depuis 2008, cette tendance s'applique à tous les pays du reste de l'Europe : tout faire pour dévaluer les salaires des travailleurs non exposés.»

Cette politique de déflation salariale a été adoptée un peu partout en Europe. En Espagne, en Italie ou en France, partout au sein de l’Union européenne (à l’exception du Luxembourg), la courbe de l’évolution des salaires minimum est désespérément plate. Celle de la Grèce pique carrément du nez, passant subitement de 880 euros à 676 euros entre janvier 2012 et juillet 2012.

(1) Le revenu médian est le revenu qui partage exactement en deux la population : la moitié de la population dispose d'un revenu plus élevé que le revenu médian, l'autre moitié d'un revenu moins élevé.