Chaque mois, Libération fait le point sur les histoires qui ont fait l’actualité des femmes, de leur santé, leurs libertés et leurs droits. Sixième épisode : février 2016.
Money, money, money. Aux Etats-Unis, les études supérieures coûtent, en moyenne, plus cher aux femmes qu'aux hommes, a-t-on appris d'une étude de l'American Association of University Women, publiée en février sur le site de Quartz. La faute à des salaires inférieurs (de 21% en 2014) à ceux des hommes, qui ne permettent pas de rembourser son prêt étudiant aussi vite… ce qui finit par coûter plus cher en intérêts.
Surévaluer. Ces mêmes étudiantes qui, lorsqu'elles sont dans une filière scientifique, ont tendance à surestimer leurs camarades masculins, nous apprend une étude menée par l'anthropologue Dan Grunspan, de l'université de Washington. On savait déjà que les professeurs hommes étaient plus facilement qualifiés par leurs élèves de «génies» que les professeurs femmes. On sait maintenant que «pour qu'une jeune femme soit jugée comme la meilleure des étudiantes par ses camarades masculins, sa moyenne doit être de 0,75 point plus élevée» explique Slate.
Attention, la séquence que vous vous apprêtez à voir n'est pas de la fiction. Elle a eu lieu en 2014.
Journaliste : «Comment comptez-vous vous occuper de vos cheveux [dans la station spatiale] ?»
Yelena Serova : «J’ai une question pour vous. Pourquoi vous ne demandez pas [la même chose] à Alexander par exemple ? Je suis désolée, c’est ma réponse»
Harcèlement sexuel. Tant qu'on parle d'université, celle de Sorbonne Paris Cité (qui comprend plusieurs établissements dont Paris-III, Paris-V, Paris-VII, Paris-XIII, Sciences Po et le CNRS) a lancé mi-février une campagne de lutte contre le harcèlement sexuel. Il s'agit de sensibiliser les harceleurs potentiels, qui n'ont pas toujours conscience de la lourdeur de leurs actes, et de libérer la parole des femmes, étudiantes comme enseignantes, qui en seraient victimes. C'est la première fois qu'une campagne d'une telle ampleur est lancée.
Retrouvez l'ensemble de nos chroniques de la vie des femmes dans notre dossier
Oui puis non puis oui. Toujours sur le harcèlement, les sénateurs nous ont fait une petite frayeur en février, en supprimant un amendement sur le harcèlement sexiste dans la loi relative à la sécurité dans les transports, finalement réintroduit quelques jours après par l'Assemblée nationale. Le texte oblige les sociétés de transports, comme la RATP, à des actions de formation, «de recensement, de prévention et de lutte» contre le harcèlement (sifflements, insultes, attouchements…). Selon un rapport du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes paru l'année dernière, toutes les usagères des transports en commun en ont été victimes au moins une fois dans leur vie.
Sport : les «gonzesses» cantonnées à la classe éco
Football. En 2016, une femme sur un terrain de football, même quand elle a été élue meilleure entraineure de Ligue 2, peut encore se faire traiter de «gonzesse». Pire, Jean-Luc Vasseur, l'entraîneur du Paris FC, auteur de cette sortie sexiste visant Corinne Diacre, coach du Clermont Foot (dont on publiait le portrait en 2014) a trouvé bon d'invoquer Renaud et sa chanson Ma Gonzesse pour se justifier. Il pourrait être sanctionné, comme le fut le désormais ex-entraîneur de Valenciennes David Le Frapper, suspendu deux matchs en novembre dernier pour des propos sexistes envers une arbitre.
Corinne Diacre lors de l’entraînement à Clermont-Ferrand, le 30 juin 2014. Photo Thierry Zoccolan. AFP
Classe éco. En Australie, le gouvernement a décidé de prendre des mesures pour plus d'égalité hommes-femmes dans le sport. Comment ? En exhortant les fédérations à faire voyager les équipes d'hommes et de femmes dans les mêmes conditions, sous peine de réduire leurs subventions. Car oui, en 2012, la sélection masculine de basket s'était rendue aux JO de Londres en business, tandis que l'équipe féminine avait été reléguée en classe éco - ce qui ne les avait pas empêchées de faire un plus beau parcours dans le tournoi olympique.
Un Vendée Globe sans femme ? On clôt ce chapitre sportif avec le prochain Vendée Globe, qui pour la première fois depuis vingt ans ne comptera aucune navigatrice sur sa ligne de départ. Sauf si l'Espagnole Anna Corbella arrive à rassembler assez des financements d'ici novembre. «Rester à quai et laisser partir un Vendée Globe sans femme» serait pour elle «un bond en arrière qui ne reflète pas la réalité actuelle de [ce] sport». Rappelons que lors de la dernière édition, l'unique concurrente féminine, Samantha Davies, avait fait l'objet d'une interview hallucinante de sexisme dans Paris Match…
Sur tous les écrans, les femmes prennent le pouvoir sur leur image
Sexisme, toujours… mais dans le 7e art, cette fois. Ce mois-ci, un producteur américain a partagé sur Twitter des extraits de scripts, montrant que les femmes y étaient très souvent décrites en fonction de leur physique. Des messages si édifiants que Ross Putman, le producteur à l'origine du compte, a dû confirmer sur le réseau social qu'il s'agissait bien de vrais scénarios, ajoutant qu'il «ne pourrait pas les inventer même s'[il] essayait».
Behind a steamy shower door is the indistinguishable but sexy silhouette of JANE showering.
— Ross Putman (@femscriptintros) February 10, 2016
(«Derrière une porte de douche embuée se trouve la silhouette imperceptible mais sexy de Jane en train de prendre sa douche»)
Initiative. Pour que les femmes aient une autre visibilité au cinéma, les actrices Jessica Chastain, Freida Pinto, Juliette Binoche, Zhang Ziyi et Queen Latifah, entre autres, mais aussi des réalisatrices, ont lancé une société de production, WDIT (We Do It Together - «nous le faisons ensemble»). «Je pense qu'il y a un gros problème dans le cinéma américain, où les histoires sur des femmes ne sont pas aussi nourries que les histoires sur des hommes», expliquait déjà Jessica Chastain en 2014. C'est au prochain festival de Cannes que le premier film produit par cette structure féministe devrait être annoncé, précise Le Figaro. D'ici là, on peut se réjouir de la moisson de césars remportée cette année par des femmes dans les catégories mixtes (meilleur scénario original, meilleur montage, meilleur documentaire, meilleur court-métrage, meilleur premier film, meilleur court-métrage d'animation).
Visibilité. Autre proposition pour améliorer la représentation des femmes à l'écran, celle des Glorieuses, newsletter d'actualité des femmes, qui a lancé un manifeste pour que les journalistes s'engagent à interroger davantage de femmes experts. «En 2015, les hommes représentent 83% des experts, 78% des sujets et 70% des porte-parole interrogés dans les médias en France», explique le texte, déjà signé par plus de 1 600 personnes. L'initiative rappelle celle du collectif Prenons la une, qui s'alarmait déjà en mars 2014 de la sous-représentation des femmes dans les médias et des inégalités professionnelles dans les rédactions.
Liberté d’expression et couches-culottes
Relaxe d'Orelsan. On passe du coq à l'âne. Des intellectuels et militants se sont ému de l'indulgence de la cour d'appel de Versailles à l'égard du rappeur, poursuivi par plusieurs associations féministes pour provocation à la haine envers les femmes (et notamment pour le «Ferme ta gueule ou tu vas te faire marie-trintigner» du titre Saint-Valentin). Cette relaxe illustre «que les propos, injures et discriminations sexistes bénéficient d'une tolérance sociale considérable», pour le Haut Conseil à l'Egalité, à qui d'autres répondent que la censure des artistes est un danger pour la démocratie. Quoi qu'on en pense, essayons de ne pas oublier que le sexisme (qu'il s'agisse de mettre en scène un personnage sexiste ou d'exprimer soi-même de la misogynie) n'est pas l'apanage du rap, et que la chanson française, de Sardou à Delpech en passant par Ferré, n'est pas en reste…
Ministère et couches-culottes. L'autre nouvelle qui a fait bondir des féministes ce mois-ci : l'intitulé du nouveau ministère de la Famille, de l'Enfance… et des Droits des femmes. Depuis le début du quinquennat, ces derniers sont passés d'un ministère de plein exercice à un secrétariat d'Etat rattaché aux Affaires sociales et à la Santé, pour finir certes dans un ministère, mais dont l'intitulé renvoie les femmes à un rôle stéréotypé d'épouse et de mère - ce dont la ministre Laurence Rossignol se défend dans une interview publiée dans nos pages.
Aux femmes, la patrie (pas trop trop) reconnaissante. Une à qui on a interdit purement et simplement l'accès à une association parce qu'elle est une femme, c'est Carine Kumps. Et cela se passe en France, en 2016. Cette habitante de Vis-en-Artois (Pas-de-Calais) a demandé à plusieurs reprises à intégrer la garde d'honneur de la nécropole de Notre-Dame-de-Lorette, où reposent des soldats de la Première guerre mondiale, rapporte la Voix du Nord. Et à cinq reprises, on lui a dit non. Si, officiellement, tout citoyen français peut postuler, il n'y a en fait que des hommes dans les rangs de cette garde d'honneur. Or, cette femme, dont le père dirige une des sections de la garde d'honneur et dont le grand-père a été déporté, souhaiterait contribuer au devoir de mémoire et ne pas se contenter d'un statut de «membre associé». Malgré les parrainages et les soutiens, dont celui du Défenseur des droits, dont elle bénéficie, l'Assemblée générale du groupe d'Arras de l'association lui a encore refusé, dimanche, l'entrée dans le club. Arguant cette fois qu'en médiatisant son affaire, elle avait visé «la promotion personnelle». Ben voyons.
Hommage. Thérèse Clerc, grande figure féministe, nous a quittés en février. A 88 ans, elle avait derrière elle un parcours politique bien rempli, avait monté la maison des Babayagas de Montreuil, une résidence autogérée pour femmes âgées, et avait notamment milité au Mouvement pour la libération de l'avortement et de la contraception.
A lire aussi le portrait que Libération avait consacré à Thérèse Clerc en 2008
Fin 2012, celle qui a eu quatre enfants et beaucoup d'amours féminins apparaissait dans le documentaire Les Invisibles, consacré à de beaux et doux témoignages d'homosexuels nés durant l'entre deux-guerres.
La Maison des femmes, qu’elle avait aussi créée à Montreuil pour accueillir des femmes de tous âges, victimes de violence, en insertion ou réinsertion, porte, depuis janvier, son nom.
Et puis… On termine avec quelques infos, en vrac : après une bataille de deux ans, les hôtesses de l'air de British Airways ont enfin obtenu le droit de porter des pantalons. Le port de la jupe s'imposait aux membres féminins de la compagnie arrivées après 2012. Chez Air France, le port du pantalon est autorisé seulement depuis 2005. A près de 5 000 kilomètres de là, en Iran, le Parlement comptera au moins quatorze femmes, en majorité réformatrices, à l'issue des élections législatives du 26 février. C'est plus qu'avant (neuf femmes, toutes conservatrices), mais elles restent ultra-minoritaires dans cette Assemblée de 290 sièges. La proportion pourrait légèrement changer après le second tour qui sera organisé en avril pour pourvoir 69 sièges restants. Aucune femme n'était candidate à l'élection de l'Assemblée des experts, des religieux chargés de nommer le guide suprême. Par ailleurs, une femme a été nommée ministre du Bonheur aux Emirats arabes unis. Un pays où les droits des femmes sont encore bafoués, et où le code pénal donne notamment aux hommes le droit d'user de la violence physique sur leurs épouses. En Allemagne, une journaliste de la RTBF a elle subi des gestes obscènes, en plein direct, alors qu'elle couvrait le carnaval de Cologne. La chaîne belge a porté plainte. En France, Bernadette Dimet, une femme battue qui avait abattu son mari, a écopé de cinq ans de prison avec sursis après que le tribunal a estimé qu'elle n'était pas en position de légitime défense. Avant d'être graciée, Jacqueline Sauvage avait elle aussi été condamnée pour le même motif.
Une bonne nouvelle, pour finir, quand même : le gouvernement du Luxembourg envisage de rendre le congé parental plus flexible et mieux indemnisé, pour inciter les parents, et surtout les pères, à y avoir davantage recours. Dans le même registre, des femmes ont lancé, en France, un appel à arrêter de culpabiliser les femmes sur leur choix d'allaiter ou non leur enfant. «L'allaitement au sein ou au biberon doit rester un choix personnel. Chaque femme mérite un respect égal dans ses choix. Nous demandons de conserver notre droit à décider sans devoir affronter une culpabilisation permanente», écrivaient-elles. Voilà, c'est tout pour février, on se retrouve le mois prochain !
A lire ailleurs…
Notre récap’ de la vie des femmes vous propose désormais, chaque mois, une sélection d’articles repérés ailleurs dans la presse et sur le web.
Beaucoup de femmes en souffrent mais elles sont très peu étudiées. Des médecins expliquent au pure-player américain Quartz pourquoi les douleurs menstruelles, qui peuvent être aussi violentes qu'une crise cardiaque pour certaines, font l'objet d'aussi peu de recherches médicales. Une des raisons invoquées : le tabou dont les règles font l'objet.
Victimes de viols et mariées de force pendant leur captivité, elles doivent faire face au rejet de leur famille une fois libérées. TV5 Monde revient sur la double peine subie par les jeunes filles enlevées par Boko Haram au Nigeria, qui avaient fait l'objet de la mobilisation #Bringbackourgirls, dans un article à lire ici.
Pourquoi les femmes, une fois passées un certain âge, préfèrent Hillary Clinton à Bernie Sanders, son adversaire à la primaire démocrate ? Car le marché du travail les confronte à la réalité du sexisme, selon un billet publié par une journaliste du New York Times, et les rend plus sensibles aux propositions de l'ex-secrétaire d'Etat (égalité salariale, congés payés…).
S'il ne fallait lire qu'un papier sur l'affaire Kesha, toujours liée par un contrat à son producteur Dr. Luke que la chanteuse pop accuse d'abus sexuels depuis le début de leur collaboration en 2005, ce serait cette tribune de Lena Dunham, publiée dans sa newsletter Lenny Letter. La créatrice et actrice de la série Girls écrit : «Kesha n'aura jamais de certificat médical. Elle n'aura jamais une vidéo montrant que Dr Luke l'a menacé et a abusé d'elle et elle ne sera jamais capable de prouver, au-delà du pouvoir de son témoignage, qu'elle est mal à l'aise de travailler avec cet homme. Et non, ce n'était pas dans son contrat. Mais, quel homme, quelle entreprise, s'efforcerait de garder une femme prisonnière de quelqu'un qu'elle accuse de traumatisme, de honte et de peur ? […] Le manque de perspective de Sony, son incapacité à la considérer pour sa valeur en tant qu'être humain plutôt que pour sa valeur marchande, est effrayant.»
Des manifestants soutiennent Kesha et accusent Sony de «soutenir le viol» devant les bureaux de la maison de disques, à New York le 26 février. Photo Mike Coppola. Getty/AFP
Enfin,
Le Monde
proposait en ce mois de février une longue interview de l’auteure Chimamanda Ngozi Adichie (photo DR), dont
[ on vous parlait en décembre ]
après que
a décidé d’offrir un exemplaire de son essai
[ Nous devrions tous être féministes ]
, à tous les lycéens de 16 ans, et que Beyoncé en a cité des extraits dans son clip
Flawless
. Extrait :
«Pour moi, le féminisme n’a pas de lieu d’origine. Partout, dans le monde, il y a des femmes et des hommes féministes. Ma grand-mère était clairement une féministe. Elle s’est enfuie du foyer conjugal et a épousé l’homme de son choix. Les gens pensent que le mot féminisme est lié à la culture occidentale. Je ne suis pas du tout de cet avis. J’ai plus appris en observant les femmes sur les marchés au Nigeria qu’en lisant des livres sur le féminisme.»
[ C’est à lire ici ]
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Vous avez raté les épisodes précédents ? Séance de rattrapage ici :
[ Septembre 2015 ]
[ Octobre 2015 ]
[ Novembre 2015 ]
[ Décembre 2015 ]
[ Janvier 2015 ]