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Libération
Interview

Crise migratoire : «L’UE doit exiger que ses décisions soient respectées et appliquées»

Le ministre grec de l’Immigration, Yannis Mouzalas, décrypte le sommet entre l’Europe et la Turquie, qui se tient ce lundi à Bruxelles, et où le sujet de la Grèce sera abordé.

ParFabien Perrier
Correspondance à Athènes
Publié le 06/03/2016 à 19h01

En attendant que les négociations entre les membres de l'UE sortent de l'impasse, la Grèce se transforme en prison à ciel ouvert pour migrants désespérés. Ils sont des milliers à continuer à arriver en Grèce et à être bloqués aux frontières, fermées par la Macédoine et les pays d'Europe centrale. Yannis Mouzalas, ministre grec de l'Immigration, livre à Libération son analyse de la situation, à la veille du sommet, ce lundi, entre l'Union européenne et la Turquie, à Bruxelles.

La Grèce a-t-elle besoin d’aide ?

Cette situation ne concerne pas seulement la Grèce, mais toute l'Europe. Le président du Conseil, le Polonais Donald Tusk, avait promis que les frontières resteraient ouvertes. Pourtant, l'Autriche, les pays de Visegrad [Pologne, République tchèque, Slovaquie, Hongrie, ndlr] et la Macédoine, qui n'est pas membre de l'Union, ont unilatéralement décidé de violer les décisions européennes qui avaient, elles, été adoptées d'un commun accord. Voilà pourquoi les migrants, qui continuent d'arriver en Grèce, sont aujourd'hui bloqués à la frontière. Malgré ses propres difficultés, le pays fait tout pour aider ces gens. Des centres d'hébergement provisoire sont construits sur l'ensemble du territoire. Le gouvernement a donc demandé officiellement l'aide de l'Union européenne.

Qu’en est-il ?

Bruxelles propose de débloquer 700 millions d’euros sur trois ans. J’ose espérer que l’UE sera cette fois solidaire et que l’aide parviendra à temps. Ce ne fut pas le cas auparavant : jusqu’à présent, seuls 20 % des besoins en matériel (tentes, couvertures, voitures de patrouille…) ou en renforts humains (policiers Frontex…) ont été couverts avec l’aide européenne.

La Grèce n’est-elle pas isolée en Europe ?

La Commission européenne, Angela Merkel, François Hollande, le pape : tous ont pris fait et cause pour la Grèce, en dénonçant l’attitude de l’Autriche et du groupe de Visegrad. Ce sont eux qui devraient se sentir politiquement isolés ! Mais c’est à la Grèce d’assumer les conséquences de leurs actes. L’UE doit exiger que ses décisions soient respectées et appliquées. Sinon, ces pays se comporteront toujours comme s’ils se trouvaient dans une Union à la carte.

Pourtant, la Grèce a tardé à mettre en place les «hot spots» destinés à enregistrer et à répartir les migrants. Le chancelier autrichien dit même qu’elle se comporte comme «une agence de voyages»…

Si la Grèce est en difficulté, c’est précisément parce que ce chancelier n’a pas respecté les décisions du Conseil européen. Le principe de solidarité a été violé alors que, lors des deux dernières grandes réunions européennes sur le sujet, tout le monde a salué les efforts de la Grèce. Mon pays est sans doute le seul qui ait rempli tous ses engagements. Personne ne se demande si les Etats situés sur cette route balkanique ont créé les 50 000 places d’accueil promises en octobre. En réalité, ils ne les ont pas créées. Personne ne dit clairement que ces pays, qui n’ont envoyé aucune aide à la Grèce, se sont empressés d’aider la Macédoine pour que les décisions du Conseil ne soient pas appliquées.

Qu’entendez-vous par là ? 

Ils n'ont jamais envoyé de policiers pour renforcer Frontex  [l'agence de surveillance des frontières extérieures, ndlr]  en Grèce. Pourtant, ils en ont envoyé en Macédoine. Ils n'ont pas fourni de matériel à la Grèce, pourtant ils en ont fourni à la Macédoine, qui ne fait pourtant pas partie de l'UE.

Pourquoi ces mêmes pays critiques de la Grèce n’en émettent aucune sur la Turquie ?

Ça, c’est à eux de répondre ! Depuis septembre, le gouvernement grec répète que seul un contrôle des flux migratoires à partir des côtes turques peut donner des résultats. L’UE a fini par le comprendre, elle doit donc exiger que la Turquie respecte son engagement à réduire ces flux. Ce n’est pas ce qui se dessine ! La Turquie vient même de refuser à l’Otan l’accès à ses eaux territoriales… C’est une preuve de sa mauvaise foi et de son manque de volonté.

Que peut faire concrètement l’Otan ?

L’Otan doit appliquer le plan d’intervention prévu, c’est-à-dire repérer les barques qui quittent les côtes turques et les renvoyer en Turquie d’où elles partent. Mais il ne s’agit pas de refouler les barques remplies de migrants. Refouler des personnes en mer est contraire au droit international, à la convention de Genève. Il ne faut pas compter sur la Grèce pour pratiquer ce type d’action. Il s’agira en revanche d’identifier les migrants, puis un tri sera fait entre réfugiés et migrants irréguliers. Ces derniers seront renvoyés en Turquie conformément à l’accord bilatéral de réadmission, signé entre la Grèce et la Turquie en 2001. Cependant, la Turquie ne l’applique pas.