«A bas votre pouvoir! A bas votre présidence! A bas vos vols! Tout cela ne vaut pas la vie d'une jeune fille!» hurlait le père de Destina Parlak, 16 ans, qui cherchait vainement sa fille devant l'hôpital Numune, une heure après la grande explosion d'Ankara, qui a fait 37 morts et 125 blessés dont 19 dans un état grave, selon un bilan officiel. «Les policiers essayaient d'empêcher les photographes et les cadreurs des télévisions de travailler, alors qu'il y avait encore des blessés par terre», témoigne un passant devant les caméras. Le Haut Conseil audiovisuel turc (RTUK) a décrété, seulement quarante minutes après l'explosion, au nom de la sécurité publique, une interdiction de diffusion des images, des sons et des informations sur «le moment de l'explosion et sur les cadavres» alors que les médias ne parlaient encore que des blessés à cette heure. Un tribunal de Golbasi (district d'Ankara) vers 20 heures a pris une décision pour interdire deux réseaux sociaux, «pour empêcher la désinformation». La première déclaration officielle a été diffusée vers 20h10, deux heures après l'attentat par le gouverneur d'Ankara : «Il s'agit d'une voiture qui a explosé entre deux autobus à Kizilay», un quartier commerçant au cœur de la capitale où se dressent de nombreux bâtiments officiels. C'est le troisième attentat majeur en six mois ciblant la capitale, qui avait été notamment ensanglantée le 10 octobre par une double attaque kamikaze visant un cortège de la gauche et des Kurdes commis par des jihadistes de l'Etat islamique.
Le modus operandi de l’attaque est identique à celle qui avait visé, le 17 février, deux bus de l’armée faisant 28 morts. Selon les autorités, l’attentat avait été commis par Salih Neccar, un syrien du PYD (Parti de l’union démocratique des Kurdes de Syrie) le principal parti des Kurdes syriens considéré par Ankara comme organiquement lié au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) qui mène la lutte armée contre Ankara depuis 1984 dans un conflit qui a fait 40 000 morts. Le même jour, les Faucons de la liberté du Kurdistan (TAK, organisation armée issue du PKK) avait annoncé le nom, le lieu et la date de naissance du vrai auteur, un membre de l’organisation. Lundi, dans la matinée, les autorités ont affirmé que le massacre de dimanche avait été prerpétré par une jeune militante du PKK. Cette organisation était déjà depuis la veille considérée comme le suspect numéro 1 par la plupart des commentateurs qui soulignent que l’organisation est lancée dans une fuite en avant après l’échec des insurrections urbaines lancées ces derniers mois dans plusieurs villes du sud-est du pays peuplé en majorité de Kurdes. De nouvelles opérations des forces de l’ordre devraient viser ces prochains jours la ville de Nusaybin à la frontière syrienne, où les combattants du PKK, avec l’aide de leurs frères syriens, se sont retranchés.
Même rhétorique
«Notre Etat ne renoncera jamais à faire usage de son droit à la légitime défense contre toute menace terroriste», a déclaré le président islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan, précisant que «la lutte contre le terrorisme va se poursuivre avec plus de détermination». «Les terroristes perdent la bataille devant l'Etat et la nation», a-t-il insisté. Les autres partis ont, peu ou prou, repris la même rhétorique sur l'écrasement du terrorisme et des «forces des ténèbres». Le chef de la principale formation de l'opposition, le Parti républicain du peuple (CHP, formation kémaliste disposant de 133 sièges sur 550 au Parlement), a déclaré que «les forces derrière cet attentat ont visé la paix en Turquie». Le Parti démocratique des peuples (HDP, formation kurdes de gauche, 59 sièges), accusé d'être la vitrine légale du PKK, a condamné fermement l'attentat et a exprimé «sa profonde tristesse». Certains observateurs ont néanmoins des doutes, comme Nihat Ali Ozcan, du quotidien progouvernemental Milliyet, soulignant que «le PKK ou bien le TAK ont préféré jusqu'à maintenant des cibles militaires» et évoquent l'hypothèse d'une action de l'Etat islamique.
L’aviation turque a bombardé lundi à l’aube les camps du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) situés dans le nord de l’Irak. Une dizaine de chasseurs-bombardiers ont mené une série de frappes contre plusieurs bases des rebelles kurdes dans les montagnes de l’extrême nord irakien, dans les secteurs de Kandil et Gara, a annoncé l’état-major.