Pendant vingt et un jours, Jean-Paul Mari, journaliste et écrivain, tient pour Libé le journal de bord de l'Aquarius, le bateau de SOS Méditerranée, qui mène une opération de sauvetage de migrants. Lors du 18e jour, il s'est passé quelque chose d'effrayant. La veille, en regardant la mer qui se lissait sous nos yeux, le ciel bleu et sans nuages de la Méditerranée retrouvé, on a compris. Après une semaine de mauvais temps, les migrants allaient pouvoir se jeter à l'eau. Ce jour-là, devant nous, sur la côte libyenne, les passeurs piaffent. Là-bas, des candidats au départ attendent. Il a suffi d'une journée d'accalmie et c'est toute une flottille qui a pris la mer. Les messages du centre maritime de Rome parviennent sans cesse. 6 h 10 : «Deux bateaux en détresse, position…» Trop loin pour nous ! 8 heures : «Un [bateau gonflable] secouru par marine italienne.» 8 h 38 : «Nouveau bateau en détresse.» Ils sont partis de l'ouest de Tripoli. Rome nous demande de filer plein ouest pour aller à leur rencontre. 9 h 13 : «Deux autres bateaux en détresse…» On fonce. Les navires militaires de l'opération «Sophia» sont aussi à la manœuvre. Trop d'embarcations sur l'eau, trop de naufrages possibles. Rome coordonne. On arrive à temps. Premiers repérages. On charge 120 gilets de sauvetage. Peu après, ils arrivent. Tous trempés, grelottant au soleil. On s'éloigne du rafiot lesté d'un bidon d'essence qui fuit. Au fond, toujours ces vis, pointes en haut, assez longues pour déchirer pieds et jambes. Un marin de chez nous essaie de percer le boudin en plastique. Déjà dégonflé, il ne serait pas allé loin. A bord, on compte 119 réfugiés. Et les appels radio qui continuent à bruisser sur l'eau.
SOS Méditerranée : la flottille des désespérés
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publié le 15 mars 2016 à 20h11
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