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Libération
Billet

Alibi

publié le 18 mars 2016 à 20h11

Quel étrange silence de la France dans ce douloureux dossier des réfugiés du Moyen-Orient… La «patrie des droits de l'homme» s'abstient d'apparaître, laissant la chancelière allemande élaborer seule un accord dont beaucoup pensent qu'il revient à vider d'une grande partie de son contenu le droit d'asile, pourtant garanti par de solennelles conventions internationales. Pour résumer, on veut élever une barrière plus ou moins hermétique entre la Turquie et l'Europe, et on ouvre en échange une porte à l'immigration légale, fondée sur le principe du «un pour un» (un réfugié admis légalement pour un autre refoulé de Grèce). Problème : la barrière est haute et la porte toute petite. Bien sûr, nul ne prétend en cette matière donner de simples leçons de morale. Il n'y a probablement, devant l'afflux de réfugiés, que des mauvaises solutions, dont on cherche la moins terrible. Loin de l'idéologie «no border» - dont on a vu les effets en Allemagne pendant l'été ou encore en Suède, sans doute l'un des pays les plus ouverts soudain obligé, à son corps défendant, de fermer ses frontières -, il existe, dans le principe, une politique plus ouverte et plus courageuse : aménager une filière d'arrivée légale entre l'Europe prospère et les camps des pays limitrophes des zones de guerre ou d'oppression, quitte à décourager par ailleurs les candidats à l'immigration illégale qui risquent leur vie dans des équipées tragiques. A condition que la filière légale ne soit pas un simple alibi. Or l'accord négocié vendredi prévoit au plus le transfert de 72 000 personnes en Europe, un chiffre dérisoire au regard des masses qui fuient les combats ou la répression. La France se serait honorée de défendre officiellement une politique de ce genre, qui s'efforce, même imparfaitement, de respecter les principes humanitaires prévus dans les textes internationaux tout en restant dans le cadre des réalités. Certes, cette conception est difficile à assumer quand l'opinion est travaillée de plus en plus par des propagandes xénophobes. Mais elle n'a rien de laxiste. Appliquée à l'échelle de l'Europe, comme l'Allemagne en a donné l'exemple en accueillant plus d'un million de migrants - dont la moitié a demandé l'asile -, elle n'est pas impossible. Chaque pays prendrait dans ce cas sa part dans l'accueil, quitte à braver à la fois les partisans d'une fermeture totale et ceux qui préconisent l'abolition des frontières entre l'Europe et le reste du monde. C'est un risque politique. Mais c'est aussi une position cohérente. Plus cohérente, en tout cas, que celle qui consiste à raser les murs en attendant des jours meilleurs.