Jim Cason est maire de Coral Gables (Floride), ancien diplomate et ancien chef de la section des intérêts américains à La Havane de 2002 à 2005. Il voit d’un œil très critique la visite de Barack Obama à Cuba, où le président américain arrive ce dimanche soir.
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Que pensez-vous de cette visite du président américain ?
Je pense que Barack Obama, comme beaucoup de gens de sa génération, a une image romantique de la révolution cubaine, et que, depuis le premier jour, il voulait visiter La Havane. Il y va, donc, alors même qu'il disait qu'il ne s'y rendrait que si la situation des droits humains s'était améliorée. Il est clair qu'il n'y a pas eu de progrès, et les médias cubains le martèlent : «Le président est le bienvenu, mais qu'il ne s'attende pas à des changements, et qu'il se mêle de ses oignons.» Mais Barack Obama avait envie d'y aller, et il y va coûte que coûte.
Pensez-vous que ce rapprochement diplomatique est une bonne chose ?
A l’époque où j’y étais, il n’y avait pas d’ambassade mais Cubains et Américains discutaient déjà des sujets qui sont abordés aujourd’hui. On discutait de tout, sauf des droits humains. Je pense donc que le rétablissement des relations diplomatiques ne veut pas dire grand-chose. Et n’aura pas les effets escomptés. Le changement doit venir de l’intérieur. Et il viendra quand on arrêtera d’encourager les dissidents à quitter l’île, qu’ils resteront et affronteront leurs dirigeants, mettront la pression sur l’armée pour qu’elle lâche du lest. Mais je crois que ce n’est pas près de se produire. Pas tant que les Castro seront vivants, du moins. A leur mort, il y a aura peut-être une fenêtre d’ouverture.
Cinquante-sept ans d’embargo et de guerre froide n’ont rien donné. N’est-il pas temps de tenter une nouvelle approche ?
J’ai envie de dire au président : si cela n’a pas fonctionné, montrez-moi une autre politique qui a fonctionné ! Parce que contrairement à nous, tous les autres pays du monde commercent, investissent, envoient leurs touristes à Cuba… et où est le changement ? Si le tourisme devait amener le changement, où est-il ? Barack Obama affirme que là où les autres ont échoué, nous y arriverons. C’est l’argument de l’exceptionnalisme américain, qui consiste à penser que nous sommes la solution magique – les touristes américains vont faire jaillir la démocratie à Cuba ! C’est ridicule. Les Castro ont 89 et 84 ans, ils ont gardé le monde à distance pendant plus de cinquante ans et ne sont pas près de changer. C’est extrêmement naïf de penser qu’inonder l’île de touristes et d’argent amènera du changement.
Pourquoi le régime accepte-t-il ce rapprochement ?
Ils ont besoin d’un accès au crédit américain, puisque le Venezuela et la Russie, les deux «parrains» du régime, ne peuvent plus le faire. Le pétrole qu’ils leur donnaient et que les Cubains revendaient a plongé au plus bas, donc ils auraient été obligés d’ouvrir leur économie pour survivre. Grâce à nous, ils ne seront pas obligés de le faire, ils vont pouvoir accentuer leur répression. En leur donnant de l’argent, nous donnons une bouée de sauvetage à un régime qui était quasiment à sec.
Qu’est-ce que vous espérez de cette visite ?
J'espère que Barack Obama saisira l'opportunité de dire «ouvrez-vous au monde, ayez des élections libres et libérez les prisonniers, autorisez les syndicats, la liberté d'expression et de rassemblement». Mais le régime l'a encore redit dans la presse il y a quelques jours : «Ce changement-là, n'y comptez pas ! Venez si vous voulez, on sera sympathique, mais c'est tout.» Alors comment, avec ce genre de mentalité, pouvez-vous penser que les efforts diplomatiques seront payants ?