Adossé à la devanture du célèbre café Versailles, quartier général des exilés cubains de Miami, Bonifacio Vega peine à retenir ses larmes en évoquant la visite de Barack Obama à La Havane. «Je me sens trahi par le Président, lâche le septuagénaire, la voix chevrotante, les lèvres tremblantes. Il a trahi les fusillés, les prisonniers politiques et l'ensemble du peuple cubain, qui est en train de se désagréger.» Sa terre natale de Cuba, Bonifacio Vega ne l'a pas foulée depuis plus de quatre décennies. Depuis qu'il a été libéré des geôles où il raconte avoir été détenu et torturé pendant quinze ans, après la révolution de 1959.
Haine. De cette expérience, l'ancien prisonnier politique a gardé - comme beaucoup de Cubains âgés de Floride - une haine viscérale des frères Castro. Rongé par cette détestation, le vieil exilé dresse un portrait lugubre de l'île, forcément plus noir que la réalité.«Les gens meurent de faim. Il n'y a ni nourriture, ni eau, ni hôpitaux, ni médicaments, assure-t-il. Les conditions de vie sont pires que dans les camps de concentration de l'Allemagne nazie.»
Plus nuancé, Luis Boullon n'est pas hostile à un rapprochement progressif entre les Etats-Unis et Cuba. Républicain modéré, il se dit prêt, par exemple, si Donald Trump est le candidat de son parti, à voter pour la démocrate Hillary Clinton afin de lui faire barrage. Un choix impensable pour nombre d'Américains d'origine cubaine, qui associent l'ex-secrétaire d'Etat au «traître» Obama.
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Agé de 74 ans, Luis Boullon en avait 19 lorsqu'il a quitté La Havane pour se réfugier à Madrid. Il est aujourd'hui citoyen américain.«Il était temps d'essayer autre chose», admet-il à propos du rétablissement des relations diplomatiques avec Cuba. Il juge toutefois prématurée la visite de Barack Obama : «C'est très désinvolte de sa part. Il avait dit qu'il irait à Cuba si les choses évoluaient positivement. Mais rien n'a changé, la répression et les arrestations continuent, tout comme le discours très agressif du régime cubain envers l'impérialisme américain.»
Parmi les Cubains de Miami, traditionnellement républicains, beaucoup accusent Obama de privilégier son prestige personnel au bien-être de la population cubaine. «Sa présidence touche à sa fin et il veut bâtir son héritage politique. Mais il n'y parviendra pas plus avec Cuba qu'avec l'accord iranien», balaie Moises Esquenazi. Cigare à la main, cet exilé dénonce la «naïveté» du locataire de la Maison Blanche. «Aller converser et donner une accolade au diable en personne est une idée totalement stupide. Cela n'a aucun sens», déplore-t-il.
«Le régime cubain ne changera jamais», renchérit Manuel Dominguez, qui assure être un ancien camarade de classe de Fídel Castro. «Peu après la révolution, un couple d'amis a été arrêté. Une fois relâchée, la femme est allée voir Fidel en personne. Elle l'a supplié de libérer son mari, raconte la femme de Manuel Dominguez, Carmen. Fidel lui a répondu : "Tu as entendu les coups de feu tirés à l'instant. C'est ton mari qu'on vient de fusiller."» Ce jour-là, ajoute-t-elle, fuir le pays est devenu une urgence : «Nous avions une belle maison, pleine de souvenirs et d'albums de photos. Nous avons fermé la porte et nous sommes partis avec ce que nous portions sur le dos.» Avec ses trois jeunes enfants, le couple, qui possédait une cimenterie à La Havane, débarque aux Etats-Unis. Leur traumatisme vivra aussi longtemps que les frères Castro. «Je ne remettrai jamais les pieds à Cuba tant que ces deux assassins seront en vie», assène Carmen Dominguez.
Espoirs. Vieillissante, en perte d'influence, la diaspora cubaine de Miami vit une année 2016 paradoxale, tiraillée entre l'amertume de voir Barack Obama tisser des liens avec La Havane et l'espoir de voir un Américain d'origine cubaine lui succéder. Après l'abandon de Marco Rubio, tous les espoirs des exilés républicains reposent sur Ted Cruz. S'il est élu, le sénateur du Texas promet de rompre à nouveau les relations diplomatiques avec Cuba et de durcir les sanctions à l'encontre du régime castriste.