Il n'y aura pas de miracle pour Nadia Savtchenko, la pilote ukrainienne accusée du meurtre de deux journalistes russes. Le procureur russe avait réclamé vingt-trois ans de prison dans son réquisitoire. Une peine exemplaire pour un acte «motivé par la haine et l'animosité», aux dires du juge qui a commencé lundi à énoncer son verdict d'une manière qui, selon les agences russes, revient à la reconnaître coupable. La peine devait être prononcée dans la foulée.
Prise de choix. Les médias ont l'habitude de qualifier Nadia Savtchenko de «Jeanne d'Arc» de l'Ukraine. Elle en a l'allure de garçonne, avec ses cheveux courts et sa fine silhouette, et la détermination, avec deux grèves de la faim à son actif, le même sens du défi - n'a-t-elle pas fait en plein tribunal un doigt d'honneur à Poutine ? - et la même foi inébranlable en sa patrie. Pour l'Ukrainien de la rue, elle est le symbole de la résistance. «La Russie, avec son régime totalitaire, peut être vaincue si vous n'avez pas peur et n'êtes pas brisé», a-t-elle lancé au dernier jour de son procès. Pour la plupart des Russes, elle est au contraire l'incarnation de la meurtrière, le Mal fait femme. Mais au XXIe siècle, on ne brûle plus les femmes rétives sur les bûchers. Même si le leader d'extrême droite Vladimir Jirinovski demande «qu'on la fusille ou qu'on la pende».
La pilote sera vraisemblablement incarcérée dans une de ces sinistres colonies qui existent encore en Russie centrale comme en Sibérie. Et ce pour un temps incertain, Savtchenko étant susceptible d’être échangée. Soit dans le cadre d’un accord de paix, ce que permettent déjà les accords de Minsk II de février 2015, soit dans celui d’un grand marchandage qui accompagnerait la levée des sanctions occidentales contre la Russie, ou tout simplement dans le cadre d’un échange standard contre des officiers russes détenus en Ukraine.
C’est le 17 juin 2014 que les deux journalistes russes Igor Korneliouk et Anton Volochine ont trouvé la mort sur une route d’Ukraine de l’Est, leur véhicule ayant été touché par un missile ukrainien. Au même moment, en juin, Nadia Savtchenko était capturée dans les environs de Lougansk et accusée d’avoir fourni les coordonnées qui ont permis à l’armée ukrainienne de cibler les victimes. En juillet, elle est transférée en Russie (la version russe veut que la pilote ait été arrêtée sur le sol russe, mais on ne voit pas vraiment ce qu’elle serait allée y faire).
Pour des raisons de propagande, la jeune femme est une prise de choix. Pilote d'hélicoptère, très critique vis-à-vis de la manière dont les autorités de son pays gèrent le conflit avec les séparatistes prorusses dans l'est du pays, elle a quitté l'armée pour aller s'engager dans une milice de volontaires, le bataillon Aïdar, à la réputation sulfureuse. Ce n'est qu'en septembre 2014 qu'Amnesty documentera des exactions imputables à ces paramilitaires, parmi lesquelles «enlèvements, détentions illégales, mauvais traitements, vols, escroqueries et possibles exécutions». Une aubaine donc pour le Kremlin, qui aime à stigmatiser ce qu'il appelle les «nazis» ukrainiens.
Grève de la faim. C'est aussi une bonne affaire car, en ce début juillet 2014, la fortune de guerre, très défavorable aux Ukrainiens au printemps, semble enfin leur sourire, ce qui contraint Moscou à intervenir beaucoup plus directement dans le conflit dès le mois d'août. Mais les Russes n'arriveront jamais à convaincre les Occidentaux qu'ils détiennent un monstre. Les circonstances de la capture de la pilote ukrainienne sont éventées. Une vidéo tournée à Louganskprouve qu'elle était aux mains des séparatistes dès le mois de juin. «Vous faites ça pour l'adrénaline ou pour un paquet de fric ?» lui demandent tour à tour ses interrogateurs. Ce à quoi elle répond sobrement : «Non, je le fais pour défendre mon pays.»
Ses soutiens s’organisent et la jeune femme, élue députée in absentia sur la liste de Ioulia Timochenko - l’ex-Première ministre ukrainienne elle aussi symbole de la résistance au Kremlin -, reçoit l’appui de nombreux députés européens et de personnalités américaines. Même le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, s’engage en sa faveur. Mais le Kremlin s’enferre dans sa décision de juger la jeune femme qui fera, dès le début 2015, une longue grève de la faim. Rien ne lui est épargné, ni l’expertise à l’Institut Serbsky, le célèbre établissement psychiatrique qui «examina» tant de dissidents soviétiques, ni le procès-fleuve dans une petite ville de la région de Rostov-sur-le-Don ironiquement nommée Donetsk, loin de Moscou, de la presse et des ONG.