Menu
Libération
UE-Turquie

Migrants : le HCR s'inquiète de l'accord européen

Dans l'île grecque de Lesbos, principal point d'entrée des réfugiés, l'agence de l'ONU refuse de les transporter vers les centres d'enregistrement car ils sont devenus «des centres de détention» depuis l'entrée en vigueur dimanche de l'accord entre l'UE et Ankara, qui prévoie de les renvoyer en Turquie.
Près d'Idomeni, à la frontière gréco-macédonienne , le 19 mars, où des milliers de réfugiés sont coincés à la suite de la fermeture de la «route des Balkans». (Photo Louisa Goulamaki. AFP)
publié le 22 mars 2016 à 14h41

Comme il fallait s'y attendre, l'accord passé vendredi entre l'UE et Ankara pour renvoyer automatiquement en Turquie les migrants arrivant en Grèce s'avère difficile à mettre en place. Mardi, le Haut Commissariat de l'ONU pour les réfugiés (HCR) a exprimé ses réticences face à ce système. Pour le HCR, les «hotspots», ces centres d'accueil et d'enregistrement où doivent être dirigés les migrants, sont devenus des «centres de détention». Du coup, le HCR n'y transfère plus les réfugiés, expliquant dans un communiqué : «En vertu des nouvelles dispositions, ces sites sont devenus des installations de détention. En conséquence, et conformément à notre politique qui s'oppose à la détention obligatoire, nous avons suspendu certaines de nos activités.» Le HCR reste présent pour informer les migrants et apporter l'aide nécessaire, mais son refus d'entrer dans le processus porte un coup à cet accord.

«Le HCR s'inquiète du fait que l'accord est appliqué avant que les Grecs aient mis en place les protections nécessaires», a expliqué ce mardi à Genève sa porte-parole Melissa Fleming. Selon l'accord, les migrants passés par la Turquie, pays considéré comme «sûr», doivent y retourner pour formuler leur demande d'asile. En théorie, leur rejet de Grèce s'effectue après une évaluation rapide de chaque situation : pour pouvoir renvoyer rapidement, les Grecs jugent «irrecevable» la demande déposée. Il y a bien une possibilité d'appel, mais elle doit être examinée sur place et rapidement.

Très douteux au regard du droit, ce tour de passe-passe avalisé par l'Union européenne se heurte au fait que, pour le HCR, «à l'heure actuelle, la Grèce n'a pas une capacité suffisante sur les îles» pour évaluer les demandes d'asile, «ni les conditions adéquates pour accueillir les gens décemment» pendant qu'on examine leur cas. Ce qui coince surtout au HCR, c'est qu'expulser des personnes ayant droit à l'asile s'avère contraire aux principes de base défendus par l'ONU. Jusqu'ici, les Grecs, qui ont accueilli 147 437 migrants (dont 49% de Syriens) depuis début 2016, se contentaient d'enregistrer les personnes et de leur délivrer un sauf-conduit. Les migrants poursuivaient alors leur route vers le continent grec puis l'Europe. Désormais, ils ne disposent plus de cette possibilité.

«L’incertitude pour les arrivants crée beaucoup de nervosité»

Or, les gens continuent d'arriver. Entre l'entrée en vigueur de l'accord dimanche soir et ce mardi matin, 934 migrants ont débarqué à Lesbos, principal point d'entrée depuis la Turquie, selon Melissa Fleming. Ils sont retenus sur le site de Moria. «L'incertitude pour les arrivants crée beaucoup de nervosité, explique Fleming. Beaucoup espèrent toujours que la frontière va rouvrir. Beaucoup n'ont plus d'argent.» Elle relève que la police distribue des tracts en persan et en arabe invitant les migrants à rejoindre les camps prévus, mais ces camps sont désormais pleins. Leur capacité doit être portée à 20 000 places, au lieu des 6 000 actuelles.

Pendant ce temps, il y a toujours 10 000 à 12 000 migrants (dont 4 000 enfants) qui campent dans des conditions infâmes à Idomeni, à la frontière avec la Macédoine fermée depuis le 7 mars. Un migrant a tenté de s'y immoler ce mardi et a été légèrement blessé. Et l'Europe qui, l'été dernier, s'était engagée à relocaliser 160 000 personnes, dont 66 400 de Grèce et 39 600 d'Italie, traîne toujours des pieds : selon le HCR, à la date de lundi, 22 pays avaient proposé 7 015 places, mais seuls 953 demandeurs d'asile ont été relocalisés (384 en provenance d'Italie et 569 de Grèce).