La scène surprend et amuse les visiteurs ces derniers jours : La Havane est sillonnée par des militaires en uniforme vert foncé, aux allures de ghostbusters. Armés d'antiques pompes à insecticide, il passent dans chaque maison pour répandre un gaz antimoustiques et éloigner le virus Zika. La démocratie est-elle aussi classée parmi les virus par les autorités cubaines ? On peut le croire tant la visite de Barack Obama a été entourée d'un cordon sanitaire : tout a été fait pour éviter le moindre contact entre le président américain et le peuple cubain.
Mardi, les rues qui mènent au théâtre où s’exprimait Obama, devant un parterre choisi, étaient bloquées par des civils. L’après-midi, le match de base-ball entre l’équipe américaine de Tampa et la sélection cubaine n’était accessible qu’aux invités du gouvernement. Et deux jours avant, tous les accès au quartier colonial, où la délégation américaine admirait les vieilles pierres, étaient eux aussi interdits au public. Les Havanais se sont contentés de regarder les cortèges de voitures blindées, et de le filmer avec leur smartphone. La hantise du pouvoir socialiste était de voir un opposant chercher à tirer parti de la présence de journalistes et d’équipes de télévision du monde entier.
Plaidoyer en faveur de la démocratie
La visite n'est restera pas moins à la hauteur de l'événement historique annoncé, et l'avant-dernière étape, en attendant la levée de l'embargo économique décrété en 1961, de la normalisation entre les deux voisins. Le président a su s'attirer les bonnes grâces des Cubains. Son caractère détendu a été, à travers la télévision, bien perçu par une population habituée depuis le retrait de Fidel Castro à des responsables politiques stricts et guindés. Son discours aussi. Si la télévision d'Etat n'en a offert que les passages qui lui convenaient les deux premiers jours, elle a retransmis mardi intégralement le plaidoyer en faveur de la démocratie prononcé au théâtre Alicia Alonso. Avec des propos peu habituels dans les médias cubains, contrôlés par le Parti communiste : «Je pense que les citoyens devraient être libres d'exprimer leurs opinions sans peur, de critiquer leur gouvernement et manifester de manière pacifique». Obama a aussi répété que l'embargo, mesure de rétorsion maintenue et durcie par ses prédécesseurs, n'avait servi à rien. On ajoutera qu'elle a sans doute prolongé la survie du régime, en renforçant un comportement de citadelle assiégée.
L’importance de la délégation américaine (une quarantaine de parlementaires, démocrates et républicains, une dizaine de ministres ou assimilés, des décideurs économiques) montre l’attente que suscite la normalisation. Pour y parvenir, outre la levée du blocus qui est du ressort du Congrès américain dont la majorité républicaine s'y oppose, des progrès doivent être faits sur les droits humains. Hélas, la réaction irritée de Raul Castro lundi, à la question d’un journaliste sur les prisonniers politiques, n’est pas de bon augure. Et le harcèlement des Dames en Blanc, qui marchent pacifiquement tous les dimanches à La Havane pour obtenir la libération de leurs proches détenus, n’a pas connu de trêve pendant la visite d’Obama.
Diplomatie du base-ball
Cuba se retranche derrière sa souveraineté : chez moi, c’est moi décide. Ce sont finalement deux conceptions des droits humains qui s’opposent. Les Etats-Unis (et tout le monde démocratique) déplorent l’absence des libertés de presse, de réunion, d’association, le parti unique et la non-séparation des pouvoirs. Tandis que Cuba met en avant les droits à l’éducation, à la santé, à la sécurité, le respect des droits des minorités. Autant de domaines où elle est en avance sur les Etats-Unis.
Mardi, Barack Obama a conclu son voyage en présidant un match de baseball entre les professionnels de Tampa et les amateurs de la sélection cubaine. Les visiteurs l'ont nettement emporté. Le président n'est resté qu'une vingtaine de minutes, afin de ne pas manquer son avion de retour pour Washington. Et il n'a pas effectué le coup d'envoi, comme certains l'attendaient. Mais il a tout de même lancé la balle dans le camp de Raul Castro. C'est maintenant au Parti communiste cubain d'indiquer s'il souhaite aller plus vite dans les réformes économiques et le respect des droits fondamentaux. Il en aura l'occasion du 16 au 18 avril, à l'occasion de son VIIe congrès.