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Décryptage

Police, renseignement: imbroglio à la belge

Attentats de Bruxellesdossier
Les spécificités du pays expliquent en partie des dysfonctionnements mis au jour après les attentats de Paris et Bruxelles.
Opération de police à Schaerbeek, vendredi 25 mars. (Photo Bruno Stevens pour Libération)
publié le 25 mars 2016 à 19h42

Depuis les attentats de Paris et de Bruxelles, les services de police et de renseignement belges sont sur la sellette. Comment sont-ils structurés ? Comment l’information circule-t-elle ? Petit précis d’une complexité «à la belge».

Un pays, deux polices

Un policier de Malines, ville flamande, avait en sa possession, dès le mois de décembre, une information qui aurait pu conduire à la cache de Salah Abdeslam, rue des quatre vents à Molenbeek. Un «tuyau» qui n’est jamais remonté vers les autorités compétentes.

Le coup est rude pour la police belge. La Commission d’enquête parlementaire, mise sur pied le 25 mars, devra vérifier s’il s’agit d’une erreur humaine ou du énième révélateur de problèmes structurels qui n’auraient pas été résolus depuis près de vingt ans.

La nouvelle architecture des polices belges date de 1998. Le but était d’en finir avec la «guerre des polices» entre gendarmerie, police communale et police judiciaire, dont le paroxysme avait été atteint à l’époque de l’affaire Dutroux.

On crée alors une police dite «intégrée» à deux niveaux. Le premier est fédéral. C’est là qu’on trouve, notamment, la police judiciaire ou l’unité spécialisée dans la lutte contre le terrorisme. Le deuxième est celui des polices locales. Elles sont organisées au sein des communes, sous l’autorité du bourgmestre (maire). La situation est différente dans la région de Bruxelles-capitale où les autorités communales se sont mises d’accord pour créer 6 zones de police pour 19 communes.

Selon Stefaan Van Hecke, député Ecolo/Groen et vice-président de la commission terrorisme de la chambre des représentants, le «grand défi», dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, c'est «l'échange d'informations entre les niveaux de police».

La police fédérale n'est pas seule à lutter contre le terrorisme. Sur le terrain, les agents de quartier de la police locale récoltent des renseignements. Dans certaines communes, comme à Molenbeek, des petites cellules «radicalisation» sont mises sur pied. Ces policiers spécialisés sont censés centraliser les données récoltées, alimenter la banque de données nationale générale, faire remonter l'info aux services compétents. «L'enjeu de la circulation de l'information est crucial, rappelle Brice De Ruyver professeur à l'université de Gand, qui fut longtemps spécialiste des questions de sécurité auprès de Guy Verhofstadt, Premier ministre de 1999 à 2008. Or, comme dans toutes les polices du monde, celui qui possède l'information est dans une position de puissance. Sur 40 000 fonctionnaires, il arrive que certains soient réticents à la partager.»

Pour Brice De Ruyver, les dysfonctionnements actuels, s'ils étaient avérés, seraient surtout imputables à des erreurs individuelles. Une position qui semble aussi conforter le ministre de l'Intérieur Jan Jambon (NVA). Ce dernier a affirmé, au sujet de l'affaire El-Bakraoui et de l'extradition manquée de la Turquie vers la Belgique, «qu'une personne relevant de la police avait mal agi». La «faute individuelle» est une explication pratique qui risque de ne pas tenir longtemps. Le journal le Soir, dans un éditorial, évoque vendredi de sérieux «dysfonctionnements de la police et de la justice».

Les renseignements, maillon faible de la Belgique ?

Depuis les attentats de Paris, les critiques pleuvent sur les renseignements belges. Comment se fait-il que la sûreté de l’Etat n’ait pas été au courant des agissements de terroristes qui ont préparé, puis perpétré, des attentats à Paris puis sur son sol ?

Pour tenter d'y voir plus clair, le comité permanent de contrôle des services de renseignement et de sécurité (comité R) enquête. Cet organe de contrôle indépendant a rendu en février un rapport intermédiaire. «Ce rapport est une étude descriptive basée notamment sur le nombre d'informations transmises par la sûreté de l'Etat au sujet des terroristes impliqués dans les attaques parisiennes, explique Guy Rapaille, président du Comité R. A partir de ces informations, nous n'avons pas constaté de manquement majeur. Les services connaissaient ces personnes et ont transmis les informations, notamment aux services français.» Tout va très bien madame la marquise. Mais la suite de l'enquête permettra d'en savoir plus, lorsque le comité R se penchera sur le contenu des informations transmises.

Pour Guy Rapaille, si les attentats «signent un échec pour les services de renseignement, c'est un échec collectif qui concerne autant les services belges que français ou américains. Je constate qu'aucun service n'a repéré Abaoud [l'un des auteurs des attentats de Paris, tué lors de l'assaut de l'appartement à Saint-Denis, ndlr] à son retour en Europe.»

Toutefois, certains spécialistes pointent un «manque de culture du renseignement en Belgique». C'est le cas de David Stans de l'université de Liège. «Dans le passé, les politiques en matière de renseignement étaient surtout réactives, bien plus que proactives, marquées par une action défensive», note-t-il. L'expert de Liège constate que la situation s'améliore «il existe davantage d'échanges entre la police et la sûreté de l'Etat par exemple». Guy Rapaille pense que la situation change assez vite : «Depuis que la Belgique est victime d'attentats, donc depuis deux ans environ, le terrorisme islamiste est devenu la priorité numéro 1 et plus une priorité parmi d'autres.» Après des années de vaches maigres, la sûreté de l'Etat va recruter du personnel. «Il faudra un à deux ans pour que ces nouveaux venus soient opérationnels», confie un spécialiste.

La coordination, le chaînon manquant

«L'organe de coordination pour l'analyse de la menace (Ocam), que nous avons créé en 2006, c'était le chaînon manquant de la lutte contre le terrorisme», se souvient Brice De Ruyver. Dix ans plus tard, il peine parfois à remplir son rôle. «Là où il y a des progrès à faire c'est dans la collaboration et l'échange d'informations entre le renseignement civil, militaire et l'Ocam, affirme Stefaan Van Hecke. Il existe une méfiance entre les services.» Une méfiance qui, même si elle s'amenuise, s'ancre dans des luttes ancestrales entre services.

Le rôle de l'Ocam est de produire des analyses sur la menace terroriste sur la base d'informations transmises via les renseignements, les polices, le ministère des Affaires étrangères ou l'administration des douanes. Un service dépendant des informations qu'on lui donne… et qui ne dispose d'aucune autorité sur les forces de police ou les agents de la sûreté de l'Etat. La transmission d'informations est inégale mais aurait lieu «sans réel blocage», affirme Guy Rapaille. «Même si elle pourrait être plus rapide», ajoute-t-il.

Quant à Brice De Ruyver, il reste convaincu que le système actuel, qu'il a contribué à façonner, est celui qui convient le mieux à la réalité belge. Il reconnaît pourtant «que le phénomène du radicalisme a été vu trop tard. Mais ce n'est pas propre à la Belgique».

La Commission d’enquête du Parlement devrait permettre d’y voir plus clair ces prochains mois.