C’est un fait, l’inédit s’est invité en Birmanie. Depuis le 8 novembre et la victoire historique de la Ligue nationale pour la démocratie (LND) d’Aung San Suu Kyi, le pays s’est lancé dans l’aventure de la transition comme un grand corps malade. Lors d’une étape cruciale et symbolique, le nouveau président, Htin Kyaw, a prêté serment mercredi dans la capitale bunker Naypyidaw. L’accession d’un civil à la tête de l’Union birmane après cinquante-quatre années de pouvoir militaire est un événement majeur. Mais cette première ne masque pas les déceptions, pas plus qu’elle ne lève les incertitudes sur le futur gouvernement dont la constitution a multiplié les signaux ambigus.
Fidèle d'Aung San Suu Kyi, Htin Kyaw pourrait bien n'être que l'homme lige de la dame de Rangoun. La «lady», comme l'appelaient les Birmans quand son nom était banni par la junte du paranoïaque Than Shwe, ne pouvait se présenter en vertu d'une disposition constitutionnelle qui proscrit à tout candidat ayant un conjoint ou des enfants étrangers d'assumer la charge suprême du pays. Alors la veuve d'un universitaire britannique s'est déclarée «au-dessus du Président». Puis, après avoir tenté en vain d'arracher un arrangement au clan militaire, elle s'est trouvé une doublure.
La lady inaugure donc avec Htin Kyaw une présidence en tandem. Curieuse mise en jambes pour une transition à hauts risques dans un pays où tant reste à bâtir. A 70 ans et après plus de quinze années passées en résidence surveillée, Aung San Suu Kyi entend diriger le pays comme elle en a manifesté le désir à plusieurs reprises. Déjà nommée ministre des Affaires étrangères, elle occupera rien moins que trois autres portefeuilles : l'Education, l'Energie et le poste de ministre du bureau présidentiel. Ce jeudi, la LND a soumis une proposition visant à créer un poste de «conseillère d'Etat» pour Aung San Suu Kyi. Cette création sur-mesure lui accorderait un statut de Première ministre pour faire le lien entre le Président et le gouvernement. Au risque de s'afficher comme cumularde, a fortiori dans une équipe resserrée, La lady dévoile à nouveau son incapacité à déléguer, «sa volonté de vouloir tout contrôler», regrette une diplomate. Ce gouvernement réussit également le tour de force de faire moins bien en termes de parité que le précédent. Aung San Suu Kyi sera la seule femme ministre de la Birmanie démocratique. Fâcheuse performance.
Avec une grande majorité de sexagénaires, la nouvelle équipe ne brille pas non plus par son rajeunissement. Et, pour ne rien arranger, deux ministres ont dû reconnaître que les diplômes affichés sur leur CV n'étaient pas valides. Mercredi, dans son discours d'investiture, Htin Kyaw a demandé aux Birmans de la «patience». Il en faudra pour que ce nouveau gouvernement trouve un modus vivendi avec les militaires, qui verrouillent toujours le système.