Chaque mois, Libération fait le point sur les histoires qui ont fait l'actualité des femmes, de leur santé, leurs libertés et leurs droits. Septième épisode : mars 2016. Si vous avez manqué l'épisode précédent, il est ici (et tous les autres sont là)
L’incessant combat des sportives
Sponsors. Breaking news, en ce mois de mars 2016 : les sportives ne sont pas là pour faire du sport, mais pour être bonnes. Bonnes comme dans bonnasses, hein, pas comme dans «wahou, qu'est-ce qu'elle est forte/balaise/talentueuse/bonne.» C'est en tout cas ce qu'on pourrait croire en lisant l'histoire de Silvana Lima, championne de surf brésilienne (et le doute n'est pas permis : elle a été sacrée meilleure surfeuse du pays… huit fois), rapportée ce mois-ci par la BBC dans le cadre d'une série documentaire.
«Je ne ressemble pas à un mannequin. Je ne suis pas une bonnasse. Je suis une surfeuse, professionnelle. Quand il s'agit des femmes, les marques de la culture surf veulent à la fois des mannequins et des surfeuses. Donc, si vous n'avez pas l'allure d'un top model, vous finissez sans sponsor. C'est ce qui m'est arrivé. Vous êtes exclue, à jeter. Les hommes n'ont pas ces problèmes. J'ai démarché de nombreux sponsors et reçu de nombreuses réponses négatives», y raconte-t-elle notamment. En treize ans de carrière, la surfeuse n'a effectivement jamais pu trouver de sponsor, à cause d'un physique jugé disgracieux par les annonceurs. Lesquels semblent avoir moins de problèmes avec le physique de Franck Ribéry (il était en 2013 en troisième position des sportifs français les mieux payés, notamment grâce à ses revenus publicitaires).
Inégalités salariales. Cinq joueuses de l'équipe nationale de foot américain ont décidé de faire valoir leurs droits. Et pour cause : elles sont moins bien payées que les joueurs de foot. Pour un match amical remporté avec la sélection, les hommes gagnent plus de 17 000 dollars quand les femmes ne reçoivent que… 1 350 dollars. Même en cas de défaite, les hommes gagnent bien plus qu'elles, avec 5 000 dollars ! Des joueuses historiques comme la gardienne Hope Solo (la meilleure du monde), la perle offensive Alex Morgan ou encore Carli Lloyd (qui a remporté le Ballon d'or début janvier) ont donc, selon le New York Times déposé plainte, au nom de leur équipe, contre la Fédération américaine pour discrimination salariale. «Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Nous sommes les meilleures du monde, nous avons gagné trois coupes du monde, remporté quatre fois le titre olympique » rappelle la gardienne Hope Solo alors que les hommes n'ont atteint qu'une fois les quarts de finale de Coupe du monde, en 2002. Cette initiative intervient quelques jours après la polémique autour de l'égalité des gains qui a secoué le tennis.
Le reportage du mois : au cœur d’une famille de talibans
Talibans. On inaugure maintenant une nouvelle rubrique : le reportage du mois. Celui-ci est exceptionnel : notre journaliste Lucie Peytermann a pu rencontrer des femmes de talibans au Pakistan, qui témoignent de leur vie à l'écart du monde, au rythme du jihad mené par leurs époux, qu'elles n'ont pas choisis. Ces épouses, filles et mères, soumises au quotidien à l'islam rigoriste, vivent recluses dans leurs maisons, accablées par les tâches domestiques. «Les épouses sont tenues de pétrir la pâte et de cuire le pain, de préparer les enfants pour l'école. […] Entre deux récitations du Coran, elles font le ménage, les lessives à la main, préparent les déjeuners et les dîners des hommes», raconte Lucie Peytermann. «Pour ces femmes, c'est une vie de clandestinité à huis clos, rythmée par les "interdits", où le jihad et ses conséquences sur leur quotidien est omniprésent.
Dans la maison. Photo Lucie Peytermann
La plupart de ces Afghanes expatriées au Pakistan rencontrent pour la première fois une étrangère et expriment à la fois leur attirance et leur rejet pour le mode de vie des Occidentales : «En Europe, il n'y a pas de respect des femmes ; tout ce que les hommes veulent, c'est les utiliser pour leur plaisir», explique la jeune Huma, 18 ans qui dort à même le sol sur une natte après une journée harassante rythmée par les prières, l'aide à la cuisine et à la lessive, les enfants et sa formation - très encadrée par les hommes - au métier de sage-femme. Vous pouvez découvrir l'univers secret de ces femmes en deux volets, l'un dans la belle-famille de Fauzia, la jeune mariée, qui n'a pas mis le nez dehors depuis plus d'un mois et l'autre à la rencontre de Nour, Najiba, Huma ou Maheen qui aspiraient à plus d'indépendance.
Autour du monde, les conservateurs et les puritains continuent de brimer les femmes
Afghanistan. Restons encore un peu en Afghanistan avec cette étude publiée par Human Right Watch, qui dénonce des tests de virginité pratiqués des médecins sur des Afghanes, avec le soutien du gouvernement. Ces tests n'ont pas de valeur scientifique mais sont utilisés à des fins judiciaires. Ces médecins sont chargés d'attester «l'honneur» des femmes accusées de «crime moral» (c'est-à-dire d'avoir eu des rapports sexuels sans être mariées) et se fichent bien d'être intrusifs ou d'humilier les patientes. Une femme a par exemple raconté à HRW que six personnes étaient présentes dans la pièce au moment de son examen…
Espagne. Autre pays où les conservateurs sont responsables de brimades à l'encontre des femmes, l'Espagne. La porte-parole de la mairie de Madrid, Rita Maestre, issue du mouvement Podemos, a été condamnée à payer sur douze mois une amende de 4 320 euros pour «délit à l'encontre des sentiments religieux». En 2011, l'élue avait débarqué sans t-shirt dans l'église de l'université publique Complutense, pour dénoncer à la fois la présence d'un lieu de culte dans une fac publique et les positions machistes de l'Eglise. Le parquet avait carrément requis un an d'emprisonnement contre l'élue de 27 ans…
Dans la tête de Rita Maestre pendant les réquisitions (on imagine)
Etats-Unis. Dans la bataille des primaires américaines, les «épouses de» n'avaient pas encore été mises sur le devant de la scène, en tout cas ni plus ni moins que lors d'une autre campagne. Ce mois-ci, les épouses de Donald Trump, Melania, et de Ted Cruz, Heidi, ont fait l'objet d'une bataille particulièrement sexiste et déplacée. Une publicité mettant en scène Melania Trump nue (elle avait posé pour des clichés sexy avant d'être mariée à l'homme d'affaires) a circulé. Trump a accusé Cruz d'en être à l'origine, le menaçant de s'en prendre à son tour à sa femme, Heidi, bien que Cruz ait nié être mêlé à cette histoire. Bref, encore une affaire d'une grande élégance, aux ressorts puritains (c'est dans l'Utah, à forte communauté mormone, que la pub a été diffusée…).
Visibilité, choix des mots, inégalités : des progrès restent à faire
Sciences. Elle en avait assez d'être harcelée par mail par des messages bien misogynes et injurieux… Emilie Temple-Wood, une étudiante en biologie moléculaire à l'Université Loyola de Chicago, a décidé de réagir : «Un soir, alors que j'étais très énervée […] je me suis assise dans le couloir du dortoir jusqu'à deux heures du matin pour écrire un article sur la première femme scientifique». Voilà comment le «Wiki projet pour les femmes scientifiques» a démarré, raconte le Huffington Post.
A chaque mail sexiste reçu, la jeune étudiante crée la page d'une femme scientifique sur Wikipédia, qui a de grosses lacunes dans ce domaine. Et Emilie Temple-Wood veille à ne pas oublier les femmes non blanches, encore moins bien représentées. Grâce à elle, 370 femmes occupent désormais une place bien méritée sur l'encyclopédie en ligne. On y trouve par exemple Barbara McClintock, Prix Nobel de médecine pour sa découverte des transposons, Chien-Shiung Wu, physicienne sino-américaine qui a apporté une importante contribution au domaine de la physique nucléaire, ou encore Fatimata Seye Sylla, une informaticienne qui a défendu l'utilisation des technologies de l'information et de la communication dans l'éducation au Sénégal.
Nous devant l’initiative d’Emilie Temple-Wood
Les mots tuent. «La dispute amoureuse tourne mal» pour parler d'une tentative de meurtre, des «mœurs débridées» pour évoquer des agressions sexuelles, «l'amour interdit» au lieu d'expliquer qu'il s'agit d'une atteinte sexuelle sur mineure… Ces titres de faits divers sont malheureusement nombreux dans la presse et contribuent à minimiser la réalité des violences faites aux femmes. Pour dénoncer le traitement médiatique bien trop léger accordé à ces agressions, la journaliste et blogueuse féministe Sophie Gourion a décidé de les rassembler dans un nouveau Tumblr : «Les mots tuent». «Je voulais montrer, en compilant leur récurrence, que ces expressions sont loin d'être anodines et isolées. Elles constituent une véritable "guerre du langage"» explique-t-elle aux Inrocks. Parce que non, le meurtre d'une femme par son compagnon n'est pas un «drame familial» ou un «crime passionnel». Ces expressions ne font que «romantiser ou minimiser l'acte», remarque la journaliste. La passion est un mot romantique qui laisse à penser que l'homme se serait senti dépassé par un trop-plein d'amour, tandis que le drame évoque plus un accident qu'un geste prémédité.
Les médias ont trop tendance à confondre délit et clip de Lorie
Mais «mal nommer un objet, c'est ajouter au malheur de ce monde», remarque Sophie Gourion qui reprend cette citation du penseur Brice Parain. Et c'est justement pour ne pas infliger de double peine aux victimes et bien nommer les choses que les médias publics espagnols, comme d'autres organes privés, ont adopté en 2008 une charte pour encadrer le traitement des violences faites aux femmes dans la presse. Les médias qui l'ont signée s'engagent à ne pas utiliser, par exemple, des termes comme «violences domestiques» préférant à la place celui de «violence machiste». A quand une charte en ce sens dans les médias français ?
Inégalités. Sans transition, une étude de l'Insee, rendue publique début mars, montre qu'en matière d'inégalités, aucune région française ne se distingue. C'est-à-dire qu'aucune ne fait clairement mieux que la moyenne. Par contre, à bien regarder de plus près les catégories (marché du travail, éducation…), on peut affirmer que l'Ile-de-France est l'endroit où il y a le moins de différences entre hommes et femmes sur le marché du travail, qu'en Bretagne, les écarts de réussite à l'école sont les plus faibles, et que la Corse, l'Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine et la Bourgogne-Franche-Comté sont nulles en matière de parité.
Coucou la Corse, l’Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine et la Bourgogne-Franche-Comté
Mon corps, mon droit (et pas de Photoshop si j’en veux pas)
8 mars. On vous épargne les communiqués de presse et les offres promotionnelles débiles reçues autour de la journée internationale de défense des droits des femmes, pour vous proposer plutôt une plongée dans la contre-manif française du 8 mars (qui s'est tenue le 6 mars à Paris, dans le quartier de Belleville), celle qui se veut inclusive et permet à des trans, lesbiennes, afroféministes, prostitué(e)s… de s'exprimer. C'est en reportage en mots et en photos à lire ici.
A la marche pour les droits des femmes, le 6 mars, près de Belleville (Paris XI
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). Photo Marie Rouge pour «Libération»
Santé. Bonne initiative : une campagne d'information sur l'endométriose a été lancée en France au début du mois de mars. L'endométriose est une maladie gynécologique, qui cause un développement de muqueuses utérines hors de l'utérus. Les cellules ainsi créées se greffent alors contre le rectum, la vessie, les trompes, les ovaires, provoquant notamment des douleurs pendant les rapports sexuels. Si celle maladie est identifiée depuis plus de 150 ans et touche une femme sur dix, elle reste méconnue. De nombreuses femmes ont ainsi mis des années à être diagnostiquées, raconte notre journaliste Virginie Ballet.
Mode. Le site chinois multimarque Wish.com n'avait visiblement pas les mannequins qu'il fallait sous le coude. Ou alors, atteint de grossophobie, il a préféré faire comme si les modèles XXL n'existaient pas. Pour vendre ses vêtements grandes tailles, le site les a tout bonnement illustrés avec des photos de mannequins tout minces qui rentrent leur corps tout entier dans une seule jambe d'un short ou d'un pantalon XXL. En découvrant ces clichés ridicules et insultants, Christina Ashman, une jeune créatrice anglaise, a aussitôt répliqué en postant une photo de sa cuisse portant une jupe taille XS sur une seule jambe, accompagnée de ce message : «Je n'ai aucune qualification en marketing, mais si les femmes fortes achètent des shorts en se basant sur ce qu'une seule jambe donne sur une fille de petite taille, peut-être que les femmes plus fines achèteront des jupes en se basant sur ce qu'elles rendent sur une belle et imposante cuisse». Bien joué.
Du côté des femmes qui s'assument, Lena Dunham a aussi fait parler d'elle. La réalisatrice et actrice de la fantastique série Girls (qui montre la vie comme elle est) n'a pas du tout aimé sa photo à la une du supplément mensuel du quotidien espagnol El Pais : «Mon corps n'a jamais ressemblé à ça et n'y ressemblera jamais – le magazine a abusé de Photoshop. Donc, si vous aimez ce que je fais, pourquoi ne pas être honnêtes avec vos lecteurs ?», écrit-elle sur Instagram.
Photo à l'appui, le journal a rapidement répondu à l'actrice en lui expliquant qu'elle n'avait pas le moins du monde été photoshopée mais que l'image, fournie par une agence, avait seulement été coupée pour la couverture. Bon, elle s'est donc emballée un peu vite sur ce coup-là, mais on est un peu déçus quand on apprend que Lena Dunham, qui affiche ses bourrelets sans complexe et nous incite à en faire autant, a pourtant déjà donné son accord à des magazines de mode comme Vogue pour être retouchée sur des photos. Elle s'était alors justifiée : «Un magazine de mode, c'est un joli fantasme. Vogue n'est pas le magazine que vous ouvrez quand vous êtes à la recherche de femmes correspondant à la réalité. C'est le magazine que vous ouvrez pour voir de beaux vêtements, de beaux endroits, pour vous échapper.»
Lena Dunham llama la atención a Tentaciones Cuando en España hicieron saltar las alarmas grandes actr https://t.co/xtaEDfI8Ef #articulos
— Underbrain (@underbrain) March 22, 2016
A lire ailleurs : une sélection mensuelle d’articles lus et d’émissions entendues ailleurs que dans Libé
Notre récap' de la vie des femmes vous propose, chaque mois, une sélection d'articles repérés ailleurs dans la presse et sur le Web.
• Le Monde rapporte ce mois-ci l'histoire de Maureen Sherry, une Américaine qui travaillait dans de grandes banques d'affaires et qui a récemment publié Opening Belle, où elle raconte façon chick lit sa vie de femme à Wall Street. Anecdotes salaces, remarques déplacées, plafond de verre : tout y est. Le livre devrait d'ailleurs faire l'objet d'une adaptation ciné avec Reese Witherspoon dans son rôle.
• France Culture a consacré au mois de mars une série d'émissions à la thématique des femmes au Moyen-Age, pour combattre les idées reçues sur leur rôle dans la cité à cette époque. L'épisode 5, consacré à la délinquance féminine, est particulièrement intéressant, mais vous pouvez aussi réécouter l'épisode 1 sur leur statut, l'épisode 2 sur le travail, le troisième sur l'honneur, et le quatrième sur les femmes seules.
• Sur le site MadmoiZelle.com, la dessinatrice Diglee raconte comment elle a progressivement pris conscience que, même dans son métier, les corps des femmes et leur perception étaient très normés. «Le problème avec le dessin, c'est qu'on a vite envie de faire du "beau". Dès que j'ai dessiné à peu près correctement, j'ai eu envie de faire "de beaux dessins". Par extension, "de beaux personnages". Des femmes, essentiellement, par mimétisme (je n'ai su dessiner des hommes que quand j'en ai rencontré, que quand j'en ai aimé). Sauf qu'assez vite, je n'ai dessiné presque que des femmes aux corps souvent très sexués, minces, attirants… blancs.», écrit-elle notamment, dans un article à lire ici.
• Enfin, les cabinets d'audit Ernst and Young ont réalisé avec le Peterson Institute for International Economics une étude sur l'inégalité de genre dans le monde de l'entreprise. Résultat : dans une boîte où au moins 30% des chefs sont des femmes, les performances seront globalement plus élevées que dans une boîte où il n'y en a pas. C'est à lire (et à méditer) en anglais ici.